Migrant affichant un portrait de la chancelière Angela Merkel, à son arrivée à Munich, le 5 septembre 2015 © Reuters

Les Turcs d’Allemagne mettent en garde contre « les erreurs du passé »

« Ne pas répéter les erreurs du passé »: les Turcs d’Allemagne saluent la volonté du gouvernement d’Angela Merkel d’intégrer la vague actuelle de migrants mais mettent en garde contre les errements des politiques d’intégration dont ils ont été victimes dans les années 60.

« Ce qui a été mauvais dans le passé, c’est d’avoir considéré les « Gastarbeiter »comme de la simple main d’oeuvre et qu’ils allaient repartir », soupire Gökay Sofuoglu, président de la Communauté turque d’Allemagne (TGD). Ces « Gastarbeiter », ou « travailleurs invités », ce sont les immigrés, Turcs notamment, que l’ex-Allemagne de l’Ouest, en manque de main d’oeuvre pour nourrir son « Miracle économique » d’après-guerre, a embauché par centaines de milliers dans les années 60, pensant qu’ils n’étaient là que pour quelques années et qu’ils rentreraient au pays.

La grande majorité finira pourtant par poser définitivement ses valises en Allemagne. Le pays compte aujourd’hui environ 3 millions de personnes d’origine turque, la plus importante diaspora turque au monde. Au début, nul ne jugeait utile d’intégrer ces maçons, artisans ou ouvriers à la chaîne. La question ne se posera que « beaucoup plus tard », note Gülistan Gürbey, chercheuse en sciences sociales à l’Université libre de Berlin et spécialiste des questions d’intégration. Président de la Société germano-turque de Stuttgart (sud-ouest), Aykut Düzgüner regrette ainsi que, longtemps, aucun cours d’allemand n’ait été proposé : « les Gastarbeiter ne se sont pas donné la peine d’apprendre l’allemand mais les Allemands n’ont pas insisté pour qu’ils le fassent ».

Résultat : encore aujourd’hui, une partie des deux premières générations ne maîtrise pas ou peu la langue allemande et vit repliée dans des ghettos constitués au fil du temps, ce qui représente « un poids », tant pour les Turcs que pour la société dans son ensemble, relève M. Düzgüner. Certes, les Turcs de la dernière génération sont beaucoup mieux intégrés « dans le système de formation et sur le marché de l’emploi », souligne Mme Gürbey et certains ont percé dans la politique, le sport ou la musique. Mais, plus largement, « certains retards » subsistent, notamment dans la scolarisation ou l’insertion professionnelle, poursuit l’universitaire. Le taux de chômage au sein de la population d’origine turque est ainsi de 10,4%, contre 6,4% pour l’ensemble du pays, et beaucoup se plaignent encore de discriminations sur les marchés du travail ou locatif.

Mais, plus de cinquante après, à l’heure où l’Allemagne est confrontée à un flux de migrants d’une ampleur inédite, le discours officiel des autorités paraît autrement plus prometteur, alors que Berlin estime pouvoir accueillir dans les prochaines années environ 500.000 migrants par an. La chancelière Angela Merkel n’hésite désormais plus à qualifier l’Allemagne de « pays d’immigration » et à parler de l’intégration rapide des réfugiés : « nous devons apprendre de l’expérience des années 60 (…) et donner dès le départ la plus haute priorité à l’intégration », a-t-elle récemment martelé. Dans ce contexte, Aykut Düzgüner exhorte les responsables politiques allemands à « ne pas répéter les erreurs commises dans le passé ». Contrairement à ce qui a été fait avec les « Gastarbeiter », « il faut intégrer vite les gens qui viennent chez nous, les former rapidement, linguistiquement et professionnellement, c’est la clé du succès (…) L’Allemagne peut en tirer profit! », insiste M. Düzgüner.

Depuis les années 2000, le pays a pris conscience des lacunes de son modèle d’intégration : elle a par exemple assoupli sa politique de nationalité en facilitant l’accession à la double nationalité et en rendant obligatoire des cours de langue et d’intégration. Les Turcs d’Allemagne saluent le volontarisme affiché jusqu’à présent par le gouvernement de Mme Merkel : « la politique allemande a tiré les leçons de l’histoire », résume M. Sofuoglu, dont l’association siège dans le quartier berlinois de Kreuzberg, baptisée « la petite Istanbul » en raison de son importante communauté turque.

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