Yves Trotignon, consultant spécialiste du terrorisme et enseignant à Sciences po Paris. © J. DANIEL/MYOP POUR LE VIF/L'EXPRESS

« Les services de renseignement ne peuvent pas être infaillibles »

Le Vif

Ancien agent de la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure française), Yves Trotignon pose un regard lucide sur la menace djihadiste.

Pourquoi ne parvient-on pas à intercepter les terroristes identifiés qui veulent frapper en Europe ?

Un attentat est comparable à un accident industriel : il n’est jamais lié à la défaillance d’une seule personne. A l’image d’un avion qui s’écrase, cela résulte d’une accumulation d’erreurs, petites ou moyennes. Le renseignement est une activité humaine qui, par essence, ne peut pas être infaillible. Personne n’a sous-estimé la dangerosité de l’Etat islamique ou celle des auteurs des attentats du 13 novembre. Il y a certainement eu un défaut dans l’analyse de cette menace précise, par rapport à d’autres signaux jugés alors prioritaires… Il faut aussi envisager que, ponctuellement, des djihadistes puissent être plus chanceux et plus malins que ceux qui leur courent après.

La course aux technologies n’est-elle pas une machine infernale ?

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L’obsession légitime des services est de ne rien rater. La tentation est de développer des technologies toujours plus puissantes, de chercher des moyens de détecter la menace toujours plus en amont. Mais un recueil trop massif d’informations devient inutile, voire pénalisant. Sans parler des problèmes posés en termes de liberté, de vie privée. Le risque de se noyer sous les données existe. Il faut disposer d’outils capables de filtrer très vite les éléments intéressants. Cela dit, suivre en temps réel des centaines de personnes, mobiles, qui utilisent 50 comptes Twitter et des messageries chiffrées, c’est très compliqué.

Les technologies ont leurs limites…

De toute manière, un renseignement, technique ou humain, n’arrive quasiment jamais sous une forme immédiatement exploitable. Une écoute téléphonique exhaustive, le débriefing d’un type qui balance tout, c’est très rare. Il faut ensuite une phase de raffinage, pour compléter les informations. Le renseignement technique est affiné par l’humain, par l’analyse, par des informations provenant de services alliés. Le raisonnement et l’expérience d’un analyste ou d’un enquêteur apportent une connaissance  » impalpable  » qu’un algorithme ne possède pas.

Comment contenir le danger quand un camion suffit à commettre un massacre ?

Il n’existe aucune solution unique, instantanée, mais on peut prendre des mesures concrètes. Une cible protégée n’est pas attaquée. Elle n’est pas invulnérable, mais les terroristes peuvent considérer que ce n’est plus rentable. Des plots adaptés bloqueront un camion bélier. Evidemment, si l’on ne pense pas à en placer à l’entrée d’un grand rassemblement… De ce point de vue, le 14 juillet à Nice est un naufrage. Cela d’autant plus que le terroriste avait fait des repérages avec son camion, sans être détecté malgré les caméras de surveillance. Dans un pays développé, très urbanisé et peuplé, les cibles sont en quantité infinie.

A quelles menaces l’Europe reste-t-elle le plus exposée ?

L’Etat islamique sera vaincu militairement, mais demeurera un danger. Même dans la clandestinité, l’organisation peut planifier des attentats et inspirer les petits soldats du djihad. De son côté, Al-Qaeda laisse passer l’orage, mais n’a pas désarmé. Cette mouvance reste une menace à long terme, capable de frapper de temps en temps, très durement. Par ailleurs, il y a deux sortes d’assaillants potentiels. Primo, des djihadistes aguerris, envoyés en mission. S’ils sont identifiés, ils sont traqués par les services spécialisés. Secundo, les djihadistes potentiels vivant en France et en Europe. Moins formés, ils peuvent en revanche être inconnus, invisibles. Actuellement, aucun fait observé ne laisse penser que le danger retombe. Au contraire, le contexte est chaque jour plus pesant. Les djihadistes savent qu’un attentat d’ampleur avant l’élection présidentielle française aurait d’immenses conséquences politiques. Les retombées iraient bien au-delà du drame humain, des tués, des blessés et des familles ravagées. De fait, la responsabilité des services est écrasante.

Propos recueillis par Boris Thiolay.

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