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Les riches paient-ils assez d’impôts ?

L’affaire Arnault a relancé le débat sur l’effort de solidarité que devraient consentir les gens fortunés, surtout en période de crise. Mais ceux-ci sont-ils vraiment privilégiés par la fiscalité belge ? Tour d’horizon.

Tous les contribuables sont soumis à la progressivité de l’impôt. Les riches aussi. Le principe est simple : plus on gagne, plus on paie d’impôts par rapport à ce qu’on gagne. Cela signifie donc que les revenus des gens fortunés sont proportionnellement plus taxés. En théorie. « Dans la réalité, ce n’est pas tout à fait vrai, relève l’avocat fiscaliste Thierry Afschrift. Car, en Belgique, la progressivité de l’impôt sur les revenus est faible et le dernier taux appliqué est de 50 %. Résultat : un ouvrier qui travaille à temps plein et gagne un premier salaire se trouve déjà dans la tranche des 42 %. Il ne sera donc proportionnellement pas beaucoup moins taxé que les contribuables les plus fortunés. »
Le plafond de 50 % est pourtant comparable à ce qui est pratiqué dans beaucoup de pays européens. La différence est qu’on atteint cette tranche beaucoup plus vite en Belgique. On constate d’ailleurs la même chose en matière de droits de succession où les plafonds (pour les successions en ligne directe, parents-enfants par exemple) oscillent entre 27 et 30 % selon les Régions. Ces taux maximums sont appliqués à partir de 500 000 euros, soit l’héritage d’une jolie maison à Bruxelles. Les barèmes n’ont pas changé depuis… 1936.

Bref, le système belge consiste à faire payer beaucoup d’impôts à beaucoup de monde davantage qu’à faire payer un maximum aux plus nantis. C’est d’autant plus vrai que la globalisation des revenus a été supprimée en 1982. Depuis trente ans, l’impôt ne porte plus sur l’ensemble des revenus, soit l’addition des revenus du travail, de l’immobilier et des capitaux qui serait frappée d’un taux progressif. Les revenus de capitaux sont taxés de manière distincte et forfaitaire. Ce qui arrange bien les affaires des actionnaires les plus prospères et des spéculateurs.

En dehors de la progressivité de l’impôt, aucune mesure fiscale spécifique ne touche les grosses fortunes en Belgique, en dehors de la récente cotisation sur les hauts revenus qui n’a encore rien rapporté à l’Etat. Le gouvernement Di Rupo a alourdi de 4 % la taxe sur les revenus mobiliers (dividendes d’actions, revenus d’obligations, de bons de caisse, etc.) excédant 20 000 euros par an et soumis à un précompte de 21 %. Les premiers effets se feront ressentir en 2013.

CE QU’ILS NE PAIENT PAS

En Belgique, comme dans la plupart des pays européens, il n’y a pas d’impôt sur la fortune. L’ISF n’est cependant pas une exception française. Il sévit en Espagne, où il a été abrogé par le gouvernement socialiste de Luis Zapatero avant d’être réintroduit pendant la crise. Ce sont les régions qui doivent le percevoir, mais, celles-ci étant majoritairement de droite, l’ISF est appliqué de manière disparate. Plus étonnant, la Suisse prélève, elle aussi, un impôt sur la fortune, mais à dose homéopathique : 0,08 %. Vingt fois moins lourd qu’en France (1,5 %), celui-ci n’effraie aucun Picsou.

L’avantage qui rend la Belgique particulièrement paradisiaque aux yeux des gens fortunés : les plus-values sur actions détenues par des particuliers ne sont pas taxées. Ce qui a permis au service d’étude du PS de calculer que le riche candidat républicain Mitt Romney paierait quinze fois moins d’impôts en Belgique qu’aux Etats-Unis. Dans la plupart des autres pays européens, les plus-values sur actions à court terme, c’est-à-dire sur des produits détenus au maximum six mois à deux ans (selon les Etats), sont soumises à un impôt. Même en Suisse ! Les plus-values à long terme font, elles, davantage l’objet d’exonération chez nos voisins.
Depuis peu, les plus-values sur actions réalisées par des entreprises se voient taxer en Belgique, comme dans la moitié des pays européens, mais seulement pour les produits détenus pendant moins d’un an. Ce seuil temporel a fait l’objet d’un compromis politique. « Il suffit aux sociétés de garder leurs actions pendant un an et un jour, sourit Thierry Afschrift. Seuls les distraits en feront profiter l’Etat. »

Un agent du fisc nous fait aussi remarquer que les donations enregistrées aux Pays-Bas (baptisées « donations Limbourg »), où les droits s’avèrent particulièrement bas, sont opposables au fisc belge, même si le bien ne se situe pas outre-Moerdijk ou si le donateur ou le bénéficiaire n’y est pas domicilié. « Vis-à-vis des riches, la Belgique ne se distingue pas seulement par des exonérations fiscales, mais aussi par sa souplesse juridique et administrative », constate le fiscard. Précisons enfin que tout cela ne tient évidemment pas compte de ceux qui s’adonnent à l’évasion ou à la fraude fiscale : entre 6,5 et 20 milliards d’euros par an, selon les sources.

CE QU’ILS POURRAIENT PAYER

Régulièrement en période électorale, le PS brandit le projet d’impôt sur la fortune (ISF), comme en France. Mais est-ce bien sérieux ? « Pour qu’un tel impôt soit réaliste, il faut que l’Etat connaisse la situation de chaque contribuable, analyse Me Afschrift. Or il n’existe pas de cadastre des biens mobiliers en Belgique. Quant aux biens immobiliers, personne n’a été fichu de revoir les revenus cadastraux depuis 1975 ! » En France, de tels cadastres existent. En outre, la loi permet au fisc de vérifier en ligne les comptes en banque des Français. Chez nous, pour que le fisc puisse avoir accès à un compte bancaire, il faut qu’il y ait des indices de fraude et que le contribuable marque son accord endéans le mois. Autant dire qu’à grande échelle c’est impraticable.

Pour le sénateur Ahmed Laaouej, la faisabilité de l’ISF est un faux débat lancé par ses détracteurs. « On peut très bien le concevoir comme un impôt déclaratif, dit-il. L’administration vous demande chaque année de déclarer vos revenus professionnels. Ceux-ci sont présumés exacts, sauf si le fisc prouve le contraire. Pourquoi ne pas entrevoir la même chose pour la fortune ? » Cela présume tout de même un certain civisme chez les riches et des moyens de contrôle plus efficaces. Or un inspecteur du fisc rappelle : « Le patrimoine des Belges est constitué à 60 % de biens mobiliers et à 40 % de biens immobiliers. Mais, dans les déclarations de succession, on observe le rapport inverse. Le patrimoine mobilier ne représente plus que de 40 % du total. » Le civisme n’est plus ce qu’il était…

Autre mesure envisagée par le PS : taxer les stock-options non plus au moment de leur octroi mais lorsque leur détenteur exerce ses droits d’option et touche ses bénéfices. Exemple : un certain Jean-Luc, administrateur d’une grande société brassicole, reçoit 86 000 stock-options lors de son départ de l’entreprise. Valeur : 3 millions d’euros. Un an plus tard, le paquet d’actions vaut 4 millions. Pour le PS, Jean-Luc devrait être imposé sur 4 millions et non sur 3.

« Techniquement, cela revient à la même chose qu’une taxe sur les plus-values d’actions », remarque Thierry Afschrift. Or là, on chatouille un tabou libéral, Open VLD en particulier. Ce qui ne gêne pas les socialistes qui proposent d’ailleurs aussi de taxer les plus-values. « OK, ce n’est pas dans l’accord de gouvernement, consent Ahmed Laaouej. Cela n’empêche pas de faire avancer le débat fiscal. » Lequel semble néanmoins figé pour l’instant.

THIERRY DENOËL

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