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Les rêves et les craintes de la Libye nouvelle

Deuxième journée de notre envoyé spécial en Libye. Rencontre avec un jeune homme, qui n’a de sa vie, connu que le régime de Kadhafi. Il confie son dégoût du clan kadhafi et ses espoirs pour l’avenir.

A la nuit tombée, peu après Iftar -la rupture du jeûne-, Rawad est venu s’asseoir sur le petit escalier de marbre de cette vaste demeure de Zawiyah, où sont hébergés quelques journalistes de passage. A sa façon, cet homme fluet de 24 ans à peine incarne les espoirs, les rêves et les craintes de la jeune garde de la Libye nouvelle. Cette génération qui n’a rien connu d’autre que l’emprise étouffante du système Kadhafi.

« Le frisé » et « le chauve »

Lorsque Rawad voit le jour, le déroutant colonel règne depuis près d’une décennie. « Nous vivons d’eau et d’air, glisse-t-il. Lui vit de sang. Tuer, tuer, tuer, voilà sa façon d’être. » Au même instant, dans le diwan, vaste salon tout proche, CNN et la chaîne qatarie al-Jazira relatent en temps réel l’assaut final sur le fortin de Bab al-Aziziya, ultime bastion tripolitain d’un clan à l’agonie. Où se terrent à cette heure « le frisé » et « le chauve », sobriquets respectifs de Mouammar et de son fils cadet Seif al-Islam? « Je n’en sais rien, admet l’ingénieur, salarié d’une société gazière. Peut-être dans un bunker souterrain payé à prix d’or. L’argent est la religion de ces gens-là. » A ses yeux, le destin du « Guide » déboussolé de la Jamahiriya est en revanche écrit : « Il faut l’arrêter vivant, le déférer devant un tribunal libyen, le juger, le condamner à mort, que ce soit à Benghazi -berceau et fief de la rébellion- ou ailleurs. Pas besoin de Cour pénale internationale. Ses crimes, il les a commis ici. Et nous voulons voir son cadavre étendu sur le sol. Idem pour ses fils, Seif, Mohamed, Saadi, Khamis et les autres. »

Eviter la tentation de la vengeance

Pour autant, Rawad, calvitie précoce et barbe courte, juge indispensable de conjurer le spectre de la vengeance. « Des tas de gens ont des comptes à régler avec ce régime, soupire-t-il. Mais pour construire la Libye de demain sur des bases solides, nous devrons essayer de vaincre cette tentation. »

Les contentieux ancestraux entre la Cyrénaïque (est) et la Tripolitaine, la persistance de l’hypothèque tribale, les tensions redoutées entre insurgés de l’intérieur et exilés de retour au pays… Le jeune opposant a conscience de tels écueils. « Mais là encore, il faudra les dépasser. Nous avons besoin des frères de la diaspora. Après tout, si l’essentiel de nos élites a quitté la Libye, c’est à cause de ce satané Kadhafi. A nous de leur faire une place. »

La parole de Rawad a d’autant plus de poids que ce fils de commerçant n’a guère à se plaindre de la défunte « République des masses ». Lui a accédé à l’institut de formation de la raffinerie de Zawiyah, passeport infaillible pour un emploi garanti. « Il faut pour y parvenir un très bon dossier scolaire et du piston. Disons que j’avais l’un et l’autre. Ici, tout fonctionne comme ça. »

Quel leader pour l’après-Kadhafi ? Mystère. « Nous voulons des hommes neufs, qui seront mis à l’épreuve et jugés sur pièce. Un peu comme des élèves soumis à un examen. » Les figures de proue du Conseil national de transition, organe politique de l’insurrection, Rawad ne les connaît guère. « Même si l’on me dit du bien de son président. Bien sûr, Mustapha Abdeljalil a été ministre -de la Justice- de Kadhafi. Mais il est vieux et a promis de se retirer très vite de l’échiquier. On lui fait donc plutôt confiance. »

L’appel à la prière monte dans la douceur du soir. Rawad s’éclipse et s’en va prier dans la mosquée voisine. Bientôt, le staccato des mitrailleuses et les rafales de kalachnikov couvriront la mélopée du muezzin. Tirs de joie, séances d’entraînement ? Allez savoir. Ici, à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Tripoli, le scénario d’une contre-offensive des kadhafistes semble plus qu’improbable.

De notre envoyé spécial Vincent Hugeux, L’Express.fr

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