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Les ressorts de la crise au Nigeria

Alors que se multiplient les violences anti-chrétiens attribuées au groupe islamiste Boko Haram, et que le président Goodluck Jonathan évoque le spectre de la guerre civile, LeVif.be fait le point sur cette crise.

Le Nigeria est une nouvelle fois confronté à ses démons. Alors que se multiplient les violences anti-chrétiens attribuées au groupe islamiste Boko Haram, le président Goodluck Jonathan a estimé que la situation était « pire que la guerre civile », une allusion à la guerre du Biafra, qui a fait plus d’un million de morts entre 1967 et 1970. À ces violences s’ajoute un climat de grogne sociale ce lundi, avec une grève générale déclenchée pour protester contre la suppression de subventions, le premier janvier, à l’origine d’une flambée des prix de l’essence.

Ce que représente la secte Boko Haram

En langue Haoussa, Boko Haram signifie « l’instruction est un péché ». Et comme pour faire des études supérieures, les Africains sont souvent « dans l’obligation de séjourner en Occident, par abus de langage, ‘Boko’ a fini par signifier l’instruction plus poussée, donc occidentale », explique Issoufou Yahaya de l’université de Niamey, dans l’article qu’il consacre à ce groupuscule.
Né en 2002 à Maiduguri dans le nord-est du pays ce groupuscule islamiste est devenu violent en 2009, après la diffusion d’une vidéo montrant chef torturé par la police, selon l’historien Jean Herskovits, spécialiste du Nigeria, qui s’exprime dans le New York Times. « Aucun membre des forces de sécurité n’ayant été inquiété, Boko Haram a commencé à s’attaquer aux symboles de l’Etat, tous musulmans », précise l’historien qui explique que la répression aveugle des forces de sécurité a renforcé le groupuscule devenu terroriste. « On a vu circuler des images d’étudiants coraniques sans armes et abattus d’une balle dans la nuque pour la simple raison qu’ils étaient suspectés de sympathie avec Boko Haram », rapporte Marc-Antoine Pérouse de Montclos, spécialiste du Nigeria à l’Institut de recherche pour le développement. Puis, la secte a commencé à s’attaquer aux chrétiens, surtout à partir de 2010, et surtout en décembre dernier.

Pour certains observateurs, Boko Haram est devenu plus un label qu’une organisation proprement dite. « À côté du noyau du groupe, toujours actif, des gangs criminels ont adopté ce nom pour perpétrer leurs attaques quand cela les arrange », analyse Jean Herskovits. Y compris, selon lui, trois des quatre principaux gangs du pays, qui sont basés dans le sud du pays, où les musulmans sont minoritaires.

Les relations entre chrétiens et musulmans

Le pays, riche de quelque 250 ethnies, compte environ autant de musulmans, majoritaires dans le nord, que de chrétiens, plus nombreux dans le sud. Pour éviter d’attiser les tensions, lors du dernier recensement, le gouvernement a d’ailleurs renoncé à interroger ses habitants sur leur religion, selon le quotidien La Croix. Les chrétiens comptent environ un tiers de catholiques. Citant Guy Nicolas, professeur à l’Inalco, le quotidien catholique souligne la montée en puissance des mouvements évangélistes dans le pays.

Des émeutes et des massacres ont régulièrement éclaté par le passé entre les différents clans et tribus liés à l’une ou l’autre religion au Nigeria. Déjà, en 1980, les affrontements de l’armée avec la secte millénariste de Maitatsine avaient fait 5000 morts. En février 2000, des affrontements entre les adeptes des deux religions ont fait plus de 3000 morts, puis, quelques mois plus tard, l’adoption de la charia dans plusieurs Etats du nord, a entraîné des émeutes qui ont fait plusieurs centaines de victimes. En 2002, des violences entre chrétiens et musulmans ont fait près de 220 morts à Kaduna. En 2004, des affrontements, après l’attaque, par des miliciens chrétiens, d’un village musulman à l’ouest d’Abuja, ont fait 630 morts. Puis, en 2010, plusieurs centaines de personnes ont été tuées lors de nouveaux affrontements font dans la région de Jos, dans l’Etat du Plateau.
Mais la religion n’est qu’un aspect de ces violences dont les racines sont, pour Jean Herskovitz, autant au nord qu’au sud, à trouver dans la pauvreté endémique et l’absence d’espoir de la population. Or 25% du budget de l’Etat est consacré à la sécurité, quand bien même, selon l’historien, la police suscite plus de crainte que Boko Haram dans le nord du pays.

L’incurie d’un pays riche et pauvre à la fois

Pays le plus peuplé d’Afrique avec plus de 162 millions d’habitants, le Nigeria est rongé par la pauvreté et la corruption, tout en étant le premier producteur de pétrole du continent. La moitié des Nigérians vit avec moins de deux dollars par jour et le taux d’alphabétisation dépasse à peine les 60%. Pourtant, les performances économiques de ce pays longtemps soumis à une junte militaire brutale, s’améliorent, selon le correspondant du Monde en Afrique qui soulignait il y a peu que l’économie du Nigeria dépassera celle de l’Egypte en 2012 et celle de l’Afrique du Sud en 2025. Mais il faudra, pour apaiser le pays, que la rente pétrolière soit plus équitablement répartie dans le pays: « Sans ses kleptocrates, le Nigeria serait un géant africain », estimait l’hebdomadaire The Economist en 2011.

En sus, la grogne sociale…

Aux tensions communautaires vient s’ajouter la décision des autorités de supprimer, le 1er janvier, les aides à la distribution de l’énergie, ce qui a doublé le prix de l’essence. Des manifestations se sont formées partout dans le pays, la mobilisation étant renforcée, par la main lourde de la police: des heurts entre manifestants et policiers ont fait au moins trois morts et des dizaines de blessés ce lundi, au premier jour d’une grève générale illimitée.

La suppression des subventions est présentée par le gouvernement comme une évolution vitale qui permettra au pays de se doter enfin d’infrastructures et de réduire la pression sur ses réserves. Mais les opposants dénoncent une décision prise de façon abrupte, le 1er janvier, sans tenir compte des conséquences pour la population. Et étant donné le niveau élevé de corruption dans le pays, les Nigerians ont beau jeu de douter de la réalité des investissements dans les infrastructures promis par le gouvernement, comme l’explique CNN.

Le poids de l’histoire

Après une guerre civile (la guerre du Biafra) qui a fait plus d’un million de morts dans les années 60, l’Etat nigerian, fédéral dans sa constitution, mais très centralisé de fait, a cherché à atomiser les trois grands groupes ethniques prédominants au moment de l’indépendance: les Yorouba, les Haoussa et les Ibo. La création d’un Etat morcelé (36 entités fédérales), a rendu « la solidarité ethnique moins incendiaire que dans les années 60 », tempère le chercheur Rotimi Suberu, cité par Laurent Fourchard.
Les militaires « ont appliqué à la lettre le principe de « diviser pour mieux régner » et ont pris soin de casser les contre-pouvoirs régionaux », estime quant à lui Marc-Antoine Pérouse.
L’élection du président Jonathan Goodluck, un chrétien originaire du delta du Niger, en avril dernier, a nettement avivé les tensions intercommunautaires. Au nom d’une règle non écrite au Nigeria, le pouvoir se partage, à tout de rôle, entre chrétiens et musulmans du nord. Or Umaru Yar’Adua, le dernier musulman élu, était mort après seulement 18 mois au pouvoir, et avait été remplacé, par intérim par le vice-président, Jonathan Goodluck, un chrétien originaire du delta du Niger. Selon cette règle tacite, il n’aurait pas du se présenter en 2011. Et si le scrutin a été considéré comme plus honnête que les précédents, le bourrage d’urnes n’a pas disparu, Jonathan ayant dépassé la barre des 90 % des suffrages dans plusieurs Etats du sud. Et les dernières élections ont  » été parmi les plus meurtrières » de ces dernières années avec plus de 800 morts selon HRW.

Pression foncière

Les conflits sont aussi en partie liés à des problèmes fonciers et « à des affrontements classiques entre agriculteurs et éleveurs à propos du passage du bétail sur des terres cultivées « explique à France 24 Marc-Antoine Pérouse de Montclos:  » Le fait que les premiers soient chrétiens et les seconds musulmans a abouti de facto à des affrontements confessionnels, mais la religion n’était pas l’origine du conflit », souligne le chercheur.
À ces ingrédients s’ajoute la politisation des mouvements religieux « liée au vide créé par l’interdiction des partis politiques pendant deux décennies » et le syndrome de l’encerclement où chacun se perçoit assiégé par l’autre, souligne le chercheur Laurent Fourchard, dans Politique africaine. En outre, le discours ethnique a été utilisé comme « mode de mobilisation électorale », expliquait déjà Marc-Antoine Pérouse à L’Express à la fin du régime militaire en 1999. Enfin, la multiplication des milices et groupes d’autodéfenses depuis cette période, et l’utilisation récurrente de ces milices ou d’hommes de mains lors des campagnes électorales, toujours accompagnées de violences, complètent le tableau.

LeVif.be avec L’Express.fr

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