L'attaque du 3 juin a frappé un quartier branché de la capitale britannique, faisant 7 morts, et au moins 48 blessés. Un choc, quelques jours après l'attentat de Manchester. © Reuters

Les réponses de l’UE sont-elles à la hauteur du danger terroriste ?

Le Vif

Il s’appelle Gilles de Kerchove. Et n’est pas le plus connu des dirigeants européens. Le haut fonctionnaire belge de 60 ans, à l’allure distinguée, occupe pourtant depuis près de dix ans la fonction de coordinateur de l’Union européenne (UE) pour la lutte contre le terrorisme.

Selon beaucoup d’observateurs, Gilles de Kerchove joue surtout un rôle institutionnel aux effets concrets trop rares ou, en tout cas, insuffisants au regard de la menace. Conférencier dans plusieurs universités, il ne dispose ni de personnel dédié ni de budget propre. Paris, Bruxelles, Nice, Berlin, Manchester, et Londres ce week-end : la série d’attentats qui a ensanglanté les villes de France, de Belgique, d’Allemagne et du Royaume-Uni depuis janvier 2015 a montré combien le Vieux Continent était la cible privilégiée du groupe Etat islamique. Les appels au renforcement de la coopération entre les pays membres vont-ils être mieux entendus ?

Depuis plusieurs mois déjà, des parlementaires libéraux de l’UE se sont prononcés en faveur de la création d’une agence européenne du renseignement sur le modèle du FBI américain. Ce nouvel organe de sécurité se verrait confier de réels pouvoirs d’enquête dans l’ensemble de l’UE. Il pourrait ainsi avoir accès aux informations recueillies par les services spécialisés de chaque pays. En dépit de la multiplication des actions terroristes, le projet ne semble toujours pas d’actualité, même si, dans leurs déclarations publiques, les responsables de chacun des Etats visés ne manquent jamais de souligner l’importance primordiale du renseignement pour prévenir les attaques de Daech.

La Première ministre britannique Theresa May s'était prononcée contre une Union de la sécurité. Va-t-elle changer d'avis ?
La Première ministre britannique Theresa May s’était prononcée contre une Union de la sécurité. Va-t-elle changer d’avis ?© H. McKay/Reuters

 » Les prérogatives régaliennes sont les plus difficiles à déléguer, explique au Vif/L’Express l’avocat Thibault de Montbrial, fondateur du Centre français de réflexion sur la sécurité intérieure. En plus, il n’est pas évident de fondre les cultures locales dans un ensemble unique. En Espagne, en Italie ou en France, les enquêteurs ne travaillent pas de la même manière. Au total, les praticiens estiment que cela n’aurait guère d’effet positif. Au contraire.  » Cette agence transnationale risque bien de rester un voeu pieux.

Malgré la menace, la création d’un « FBI européen » n’est toujours pas d’actualité

A la fin de l’année 2015 déjà, dans un entretien au quotidien français Les Echos, Gilles de Kerchove avait estimé que ce  » FBI  » n’était pas  » pertinent « . Les questions de renseignement, rappelait-il, restent  » en dehors des compétences communautaires « . Et d’ajouter :  » Il faudrait changer le traité et je ne vois pas une volonté de le faire dans l’immédiat. Même si nous changions les traités, certains pays y resteraient opposés.  » Il faut donc se contenter d’Europol, une structure légère rassemblant une importante base de données, un centre européen de lutte antiterroriste, mais aucun pouvoir d’investigation. La récente série d’attentats (Manchester, Londres) qui a frappé le Royaume-Uni va-t-elle changer la donne ?

Pas certain. Car l’histoire de la lutte européenne contre le terrorisme est aussi celle de nombreuses réticences. Bernard Cazeneuve, alors ministre français de l’Intérieur (2014-2016), en a fait la pénible expérience. Aux lendemains de l’attentat contre Charlie Hebdo, en janvier 2015, il avait préconisé la mise en place du PNR ( » passenger name record « ). Ce fichier a pour but de centraliser les données détenues par les compagnies aériennes sur les passagers aux départs et aux arrivées des aéroports. Une partie des élus du Parlement européen ont retardé l’adoption de la mesure jusqu’en avril 2016, alors même que, après janvier 2015, Paris avait été une nouvelle fois mortellement frappée en novembre de la même année par les islamistes. Ils souhaitaient la voir intégrer dans un ensemble de dispositions plus vaste.

Désormais, 100 % des Européens qui se rendent en Turquie sont contrôlés

Si l’on n’est plus au chacun pour soi, ce sont souvent d’autres modes de coopération qui sont utilisés. Le bilatéral l’emporte souvent sur l’européen. Après des débuts difficiles, les services belges et français ont travaillé en étroite liaison après les attentats à Paris, dont les auteurs venaient de Bruxelles. Ce type de relations paraît souvent préférable aux acteurs de terrain, souvent peu enclins à partager leurs informations à tout-va. Ils le jugent plus directement opérationnel.  » Ce qu’il faut améliorer, affirme Thibault de Montbrial, c’est la coopération interservice avec compétence nationale. Un attentat en France, les Français dirigent l’enquête, mais avec l’appui de leurs collègues européens « .

Gilles de Kerchove (à dr.), le coordinateur européen pour la lutte antiterroriste, est limité à un rôle institutionnel.
Gilles de Kerchove (à dr.), le coordinateur européen pour la lutte antiterroriste, est limité à un rôle institutionnel.© E. Dunand/Afp

Il serait toutefois inexact d’affirmer que rien n’a changé. Les moyens financiers ont été augmentés. Le budget d’Europol a connu une hausse sensible. Et le contrôle aux frontières extérieures de l’UE a été systématisé. La Turquie est un lieu de transit bien connu des aspirants djihadistes en route vers l’Irak et la Syrie. Désormais, 100 % des Européens qui s’y rendent sont l’objet de contrôles. Ceux-ci ont également été renforcés dans les  » hot spots « , ces lieux d’accueil en Europe des migrants en provenance de la zone de guerre irako-syrienne. Il s’agit cette fois de prévenir l’infiltration de terroristes parmi les réfugiés, en pratiquant des relevés d’empreintes à grande échelle.

Le 2 août 2016, l’UE a désigné le Britannique Julian King commissaire à la sécurité. Un choix paradoxal à l’heure du Brexit. Dans sa version dure, la séparation du Royaume-Uni du reste de l’UE semble une menace forte sur la coopération antiterroriste. La Première ministre britannique, Theresa May, ne s’est jusqu’alors pas déclarée favorable à une Union pour la sécurité. Les attentats de Londres et de Manchester vont-ils la faire changer d’avis ?

Par Pascal Ceaux.

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