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Les plaies d’Égypte auraient-elles pu correspondre à la réalité du temps ?

Le Vif

Les célèbres punitions imposées à la population du Nil ne sont-elles que des allégories bibliques ou ont-elles au contraire correspondu à la réalité des temps ? Les chercheurs s’orientent de plus en plus vers cette seconde hypothèse…

Pour libérer les Hébreux du joug de Pharaon, Yahvé, par l’intermédiaire de Moïse, déchaîne sa colère sur l’Égypte en lui infigeant dix plaies, racontées dans le livre de l’Exode de l’Ancien Testament. Cette série de catastrophes mène la vie dure aux Égyptiens : raréfaction de l’eau potable, maladies, récoltes désastreuses, famines… Dans quelle mesure ce récit religieux, hautement symbolique, concorde-t-il avec les découvertes de l’archéologie et de la géologie ? Pour les scientifiques, grande est la tentation de tester la véracité du texte sacré pour proposer une explication rationnelle aux phénomènes merveilleux présentés comme une punition divine. Plusieurs hypothèses expliquent ainsi que cette série de féaux pourrait être réelle et liée à des bouleversements écologiques.

Dans les années 1970, le géologue hollandais Reinout Willem van Bemmelen établit le premier un lien avec la formidable éruption volcanique sur l’île de Santorin, à quelque sept cents kilomètres au nord de l’Égypte, en mer Égée. Le cataclysme aurait engendré un désordre climatique et précipité le déclin des Minoens de Crète, avec qui les Égyptiens commerçaient depuis plusieurs siècles. Les scientifques sont aujourd’hui capables de dater l’éruption entre 1610 et 1550 avant notre ère. Tout le Bassin méditerranéen fut perturbé : un tel chaos eut des retentissements au Proche-Orient, où des dépôts de cendres provenant du cratère du volcan ont été retrouvés. Les exégèses du texte biblique situent néanmoins la rédaction de l’Ancien Testament entre le ive et le iiie siècle avant notre ère… soit plus de treize siècles après l’éruption sur Santorin ! Mais on imagine sans peine qu’une telle catastrophe ait durablement marqué l’imaginaire des peuples méditerranéens, qui se sont transmis le récit par oral. Un désastre écologique était alors interprété comme une manifestation de la colère divine. Le papyrus d’Ipou-Our, un scribe égyptien ayant vécu au xiiie siècle avant J.-C., décrit de violents cataclysmes dans son pays, engendrant partout famine, sécheresse et mort, tandis que les esclaves prennent la fuite. La ressemblance avec les dix plaies mentionnées dans l’Exode est particulièrement frappante.

Effet domino

Au début des années 2000, le docteur en géologie marine Gilles Lericolais affine la thèse des conséquences égyptiennes de l’éruption volcanique en mer Égée. Les calamités racontées dans l’Ancien Testament seraient autant de conséquences de la perturbation climatique engendrée par l’explo sion fnale de Santorin : un effet domino désastreux. Le géologue s’appuie sur l’augmentation de l’acidité atmosphérique enregistrée vers 1645 avant J.-C. Des anomalies de croissance des arbres ont été repé rées en Anatolie et jusqu’en Irlande. La mer Égée connaît sept années de refroidissement. Les nuages de cendres dus à l’éruption filtrent les rayons du soleil et la grande quantité de gaz relâché dans l’atmosphère trouble le climat, engendrant pluies torrentielles et acides, et des cycles de saisons perturbés

1. Eaux changées en sang

« Je vais frapper les eaux du Fleuve et elles se changeront en sang. Les poissons crèveront, le Fleuve s’empuantira et les Égyptiens ne pourront plus boire l’eau. » Une mutation de la fore du Nil expliquerait la première des dix calamités. Gilles Lericolais explique qu’une oxydation des roches riches en minerai de fer du feuve aurait donné à ses eaux une teinte carmin. Les pluies acides dues au dioxyde de soufre rejeté par le volcan ont pu oxyder les argiles du sol, donnant au Nil une coloration rouille et favorisant le développement de micro-organismes qui pompent l’oxygène de l’eau, la rendant toxique.

Autre hypothèse : le brusque changement de climat aurait réchauffé les eaux et favorisé la prolifération d’algues rouges nuisibles de type Pfesteria piscicida ou Oscillatoria rubescens. Enfn, pour le biologiste spécialiste du Moyen-Orient Siro Igino Trevisanato, une crue monumentale du Nil aurait fait remonter des profondeurs un fn limon rouge. La suite des événements serait une réaction en chaîne causée par cet empoisonnement des eaux, troublant tout l’écosystème local.

Les plaies d'Égypte auraient-elles pu correspondre à la réalité du temps ?
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2/3/4. Poissons,grenouilles, insectes

Les trois plaies suivantes concernent les animaux, premiers touchés par une mutation anormale de la fore. « Les grenouilles montèrent et recouvrirent l’Égypte. » L’eau toxique a tué les poissons mangeurs de grenouilles, laissant les batraciens proliférer. Leur invasion peut ainsi être l’une des conséquences indirectes de l’éruption sur Santorin : les grenouilles fuient les eaux polluées du Nil, où elles sont au contact des poissons en décomposition, avant de mourir, intoxiquées, sur les berges. La disparition de ces prédateurs pour les insectes provoque leur déferlement. « La poussière du sol se changea en moustiques. » La montée des eaux favorise le développement des larves d’insectes et un tel climat, très humide, attire des essaims de moustiques. Mouches et taons pullulent. Porteurs de maladies, ils contaminent hommes et bêtes.

5/6. Peste, furoncles

Une éruption volcanique ne crée pas d’épidémies, mais bouleverse un écosystème. Faute d’eau propre, des maladies comme le choléra se développent. L’Ancien Testament raconte qu' »une peste très grave » s’abat sur tous les troupeaux d’Égypte. La cinquième plaie, la mort des troupeaux, s’expliquerait à la fois par la multiplication d’insectes piqueurs, responsables de contaminations très rapides, et par un empoisonnement dû à l’ingestion d’eaux polluées. Chevaux, ânes, chameaux, boeufs, chèvres : tous succombent. La mort du bétail peut être attribuée à de nombreux parasites. L’un des coupables serait un moucheron, le Culicoïdes canithorax, qui transmet les virus responsables de la maladie de la langue bleue et de la maladie du cheval, qui touchent tous les animaux domestiques à l’exception du chameau.

La sixième plaie décrit une déferlante de pustules : « Gens et bêtes furent couverts de furoncles bourgeonnants. » Ces ulcères ont pu être provoqués par des myiases touchant hommes et animaux. Ce terme désigne toutes les maladies cutanées causées par des larves d’insectes. Elles s’accompagnent de lésions qui prennent l’aspect de furoncles. Les insectes peuvent aussi transmettre une maladie cutanée appelée leishmaniose, qui cause de profondes cicatrices purulentes.

7/9. Grêle, ténèbres

« Il ft tomber la grêle qui se transforma en feu sur le pays d’Égypte. » En cas d’éruption, il peut arriver que des grêlons se forment, aussi gros que des balles de tennis, constitués non pas de glace mais de lapilli, des fragments de lave éjectés du volcan. De violents orages peuvent également mêler la grêle à la foudre. « Il y eut d’épaisses ténèbres sur tout le pays pendant trois jours. Les gens ne se voyaient plus l’un l’autre. » L’Égypte aurait-elle connu une gigantesque éclipse ? La thèse des nuages de cendres semble plus probable. L’explosion de Santorin est à l’origine de dérèglements climatiques, qui ont pu se traduire par d’épais nuages de dépôts volcaniques et de vapeur d’eau, appelés pyrocumulonimbus, mêlés d’une pluie noire chargée de cendres. Ces nuages ont pu masquer le soleil au point d’assombrir l’atmosphère. L’obscurcissement des airs pouvait également être le fait d’une tempête de sable très dense, occasionnéepar des vents violents.

8. Sauterelles

Un brusque changement climatique peut aussi être à l’origine de l’invasion des terres par certaines espèces. Ainsi, des milliers d’insectes ont pu se déplacer vers l’Égypte. « Les sauterelles recouvrirent la surface de toute la terre et la terre fut dans l’obscurité ; elles dévorèrent toutes les plantes de la terre et tous les fruits des arbres. » La huitième plaie peut être expliquée par les pluies importantes, favorables à la multiplication des sauterelles qui fuient les zones de sécheresse et, redoutées des paysans, ruinent les récoltes en à peine quelques heures. Moïse prédit que ces insectes seront « portés par un vent d’Orient ». Il est très probable qu’ils soient venus du sud, du Soudan ou de l’Éthiopie. Ces deux pays sont deux zones de regroupements de sauterelles importants.

10. Mort des premiers-nés

La dixième plaie est la plus cruelle et la plus complexe : « Tous les premiers- nés moururent dans le pays d’Égypte. » Le coup fatal porté aux Égyptiens, qui aboutit à la capitulation de Pharaon, est très détaillé. Les neuf autres plaies peuvent être expliquées par des phénomènes naturels qui ont très bien pu se produire. Mais la mort des premiers-nés reste énigmatique. Il est évident qu’en cas d’épidémies ou de famines causées par des moissons désastreuses, les enfants sont les plus fragiles et les premières victimes. Mais une théorie plus précise a été développée : les plus jeunes auraient ingéré du blé empoisonné et succombé à une maladie semblable à l’ergotisme (appelé « mal des ardents » au Moyen Âge), dont les principaux symptômes sont des spasmes et des convulsions douloureuses, des nausées et des hallucinations. Les mauvaises récoltes, stockées dans les greniers, ont pu être contaminées par un champignon qui s’est développé grâce à l’humidité et/ou aux déjections d’insectes. Des moisissures toxiques, appelées trichothécènes, auraient alors proliféré sur les grains. Les enfants étant servis les premiers, ils auraient succombé aux céréales infectées.

Par Suzanne Gervais.

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