Boutique à Damas : "Je ne vends plus rien, mais au moins je suis chez moi". © Myrna Nabhan

Les oubliés de Damas

Refuser de prendre parti, tout en aidant mon pays natal, tel est le credo de la Belgo-Syrienne Myrna Nabhan, politologue issue de l’ULB. Elle est retournée à Damas pour donner voix à tous ceux qui sont restés. Et leur insuffler un peu d’espoir.

Comment aider la Syrie, ma terre natale ? La question a souvent hanté Myrna Nabhan. Politologue issue de l’ULB, cette Belgo-Syrienne (28 ans) d’origine musulmane n’a jamais oublié que ses racines sont à Damas. Pour traduire son émotion face à son pays à feu et à sang, elle s’exprime le plus souvent par l’écriture, publiant des tribunes au style remarqué sur les sites du Vif/L’Express, de La Libre et du Huffington Post. A chaque fois, elle tente de poser un regard tendre et constructif, en veillant à ne jamais verser dans des positions partisanes qui, selon elles, ne font que perpétuer le conflit.

Récemment, elle s’est mise en tête de raconter par l’image la survie de ses compatriotes restés au pays, et qui continuent de le faire vivre. « Relater la guerre, écrit-elle à propos de son projet, c’est aussi se détourner un instant des statistiques macabres pour donner la parole à toutes les autres victimes dont on ne parle pas assez ». Et cela afin d’insuffler un peu d’espoir à ces habitants qui n’ont jamais voulu prendre les armes, mais qui sont à bout de nerfs après plus de quatre ans de guerre. Le titre de son documentaire ? Damas, là où l’espoir est le dernier à mourir, qu’elle proposera à l’automne à des chaînes télé.

En juin dernier, grâce à un financement récolté par crowdfunding, elle est partie dans la capitale syrienne, que le régime de Bachar al-Assad domine d’une main de fer. Sur place, munie d’une caméra et des autorisations, elle est allée à la rencontre des Damascènes, certains ne voulant pas être identifiés, tandis que les chrétiens se montraient les plus diserts. Chacun avec ses propres affects, mais tous avec ce même refus de se laisser embrigader dans des identités religieuses : « Mes interlocuteurs détestaient qu’on aborde la question, souligne-t-elle. On ne m’a d’ailleurs jamais demandé si j’allais à la mosquée ou à l’église ».

La Syrie compte aujourd’hui 4 millions de réfugiés, un record. Et pourtant, beaucoup sont restés au pays, préférant une vie spartiate mais digne à l’humiliation d’un déracinement. Un commerçant lui a déclaré : « Je ne vends plus rien, mais au moins je suis chez moi. » D’autres estiment qu’il faut rester au chevet de son pays, « comme un fils auprès d’une mère malade ». De quoi culpabiliser Myrna, qui vit dans le confort à Bruxelles. Surtout quand on lui lâche, même avec affection : « Ah, comme on est content de te revoir ! Nous, pendant ton absence, on a gardé la maison. »

Malgré les nombreux barrages, Damas garde une apparence de normalité. Les habitants ne s’aventurent toutefois pas en périphérie. Rebelles et autres djihadistes y occupent plusieurs bastions que le régime bombarde allègrement. En retour, voitures piégées et tirs d’obus font peser une menace permanente en ville. Mais on s’y habitue. « Quand une roquette tombe, on enlève les morts, on nettoie le sang sur le trottoir, et la vie reprend comme avant. Dans les écoles, les élèves descendent dans les caves à la moindre alerte et puis s’en retournent en classe. »

Le calme de la population a sidéré Myrna, à moins que ce soit de la résignation. Un jour, elle se trouvait dans un salon de coiffure. « Soudain, on a entendu l’explosion d’une roquette. Sans sursauter, les clientes précisaient aussitôt l’endroit où elle était tombée, le type d’engin, etc. Le soir, je ressentais ce même flegme dans le quartier Abassin, là où les gens sont à portée de tir des djihadistes. On peut même apercevoir leur drapeau noir ! ». La jeune femme ressent tout le fossé qui la sépare désormais de ses anciens voisins : « Je n’en revenais pas de les voir ainsi transformés par quatre ans de guerre ». Un mot que les habitants évitent, préférant « conflit », « crise », « événements ».

Mais c’est bel et bien une guerre : « Je suis allée jusqu’à Lattaquié, sur la côte restée fidèle au régime. Là-bas, les affiches « Engagez-vous » de l’armée sont innombrables, jusque dans les montagnes. La guerre fait ressortir le meilleur comme le pire, poursuit la Bruxelloise. « Parmi le meilleur, je citerais cet habitant de Lattaquié qui a payé l’opération à coeur ouvert d’un de ses voisins. Ou encore ce vieil homme obligé de mendier et qui a voulu m’offrir un petit bateau en bois, son seul bien, car je le trouvais joli. ‘Ainsi, je suis sûr qu’il ne tombera jamais en de mauvaises mains ‘, m’a-t-il déclaré. »

Avec son passeport belge, Myrna voyage sans problème : « Mes amis qui n’ont qu’un passeport syrien font l’objet de suspicions et parfois d’humiliations dès qu’ils passent la frontière », raconte-t-elle. Et pourtant, ils ne se plaignent pas. Sauf des sanctions internationales qui, déclarent-ils, sont source de pénuries et de hausses de prix insupportables. « Dis-le bien à Bruxelles ! » Ce sera le seul coup de gueule qu’elle entendra. Pour le reste, c’était motus. Peur ? Fatalisme ? Dilemme face à des choix cornéliens, entre un régime liberticide mais qui assure la coexistence et des rebelles qui inspirent surtout la peur et la méfiance ? Un peu de tout, certainement.

Elle-même ne parvient pas à faire la synthèse de son expérience. « Je suis un peu perdue, confesse-t-elle. Je n’arrive pas à retrouver ma légèreté d’avant. C’est eux qui me parlaient d’espoir, alors que moi je me mettais à désespérer. J’ai souvent pleuré. » En septembre, elle repartira à Damas pour compléter le film, avec une attention particulière aux associations d’aide aux déplacés internes. « Ceux-ci sont bien plus nombreux que les réfugiés, mais personne n’en parle, comme si les seuls Syriens qui méritent l’attention du monde sont ceux qui fuient leur pays ». Et comme si les autres n’étaient que des complices des forces en présence.

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