© Reuters

Les mystères de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Cinquante ans après la mort de John Fitzgerald Kennedy, de nombreuses zones d’ombre subsistent. L’enquête du journaliste américain Philip Shenon (Anatomie d’un assassinat) confirme que CIA et FBI ont occulté la vérité. Pour masquer des dysfonctionnements ou une conspiration ?

Cinquante ans après, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy garde son halo de mystère. Cinquante ans et quatre enquêtes parlementaires plus tard, de nombreuses zones d’ombre subsistent sur les circonstances, les mobiles et les inspirateurs, sinon les commanditaires, de l’exécution du président des Etats-Unis, le 22 novembre 1963, à Dallas. Ce constat, accablant pour la plus puissante démocratie de la planète, continue aujourd’hui de nourrir les spéculations, les soupçons et les fantasmes. Pourquoi ? Quelle « raison d’Etat » peut-elle justifier que toute la vérité n’ait pas encore pu être établie sur l’assassinat politique le plus décortiqué du XXe siècle ?

Le doute ne résulte pas seulement de la confusion ressentie par les Américains à l’idée que l’homme le plus puissant au monde ait pu être abattu par un « minable » comme Lee Harvey Oswald. Il a aussi été alimenté par les lacunes et les errements qu’ont connus les enquêtes officielles. C’est un des grands mérites du livre Anatomie d’un assassinat (1), fruit de cinq années d’enquête du journaliste Philip Shenon, de montrer combien la Commission Warren, mise sur pied par le successeur de JFK Lyndon Johnson, a été instrumentalisée pour privilégier la théorie du tueur unique et de l’acte isolé. Telle était la conviction de son président Earl Warren, chief justice de la Cour suprême, et il ne s’en est jamais démarqué. A ses enquêteurs, la CIA et le FBI ont sciemment caché des informations. Et au sein de la Commission, les deux agences de renseignement ont pu compter sur le soutien indéfectible de personnalités comme Allen Dulles, ancien chef de la CIA, ou le députe républicain et futur président Gerald Ford.

On comprend mieux pourquoi des réponses définitives n’ont pas encore été apportées aux interrogations fondamentales qui entourent la disparition du président américain. A-t-il succombé sous l’action concertée d’un second tireur ? Pourquoi le ou les assassins ont-ils voulu l’éliminer ? Sa mort résulte-t-elle d’un complot ?

Oswald seul ou un second tireur ?
La Commission Warren a conclu que seul Lee Harvey Oswald avait tiré sur le convoi présidentiel depuis le bâtiment du Texas School Book Delivery où il travaille. Trois détonations, trois douilles, trois tirs. Mais l’extrême célérité avec laquelle l’auteur, en dépit de ses états de service d’ancien Marine, aurait agi fait douter qu’il en ait eu la faculté. Un enquêteur de la Commission va alors avancer l’hypothèse que la deuxième balle, après la première perdue, ait blessé et le président et le gouverneur du Texas John Connally, assis devant lui, avant qu’une troisième ne soit fatale à JFK. Le délai entre deux déflagrations se révèle ainsi plus en adéquation avec la dextérité prêtée à Lee Harvey Oswald. Mais cette théorie a surtout pour vertu de rendre superflue l’intervention d’un second tueur.

C’est pourtant sur cette hypothèse (des tirs provenant d’un monticule herbeux, derrière une palissade, face à la voiture du président) que se fondent les tenants du complot, parmi lesquels, quelques années plus tard, le procureur de La Nouvelle Orléans, Jim Garrison. En épousant ses thèses dans son film JFK en 1991, le réalisateur Oliver Stone donnera ainsi un inespéré crédit à l’improbable implication du vice-président Lyndon Johnson dans l’assassinat, au nom d’un lobby militaro-industriel inquiet du désengagement du Vietnam suggéré par le président américain.

Coup de folie ou conspiration ?
Lee Harvey Oswald est-il vraiment ce « minable » dont l’unique ambition était, comme le prétend son épouse, de « figurer dans les livres d’histoire » ? L’étude de son parcours révèle un profil beaucoup plus complexe. Renvoyé du corps des Marines, il s’exile de 1959 à 1961 en Union soviétique, à une époque où la confrontation Est-Ouest est à son apogée. Il revient aux Etats-Unis avec sa compagne russe sans qu’aucune condition ou contrôle préalable lui soit officiellement imposé. Surtout, à quelques semaines de l’assassinat de Dallas, il fait un voyage à Mexico, « une des plaques tournantes de la guerre froide », où il se rend dans les ambassades d’URSS et de Cuba. Selon la version officielle, afin d’y entreprendre les démarches pour obtenir un visa pour La Havane parce qu’il voit chez Castro « une forme plus pure de marxisme »…

A l’aune de cette tranche de vie, difficile de ne pas suspecter une motivation profondément politique dans le geste de Lee Harvey Oswald. A son initiative personnelle ou sur commande ? Fort de l’expertise acquise aujourd’hui en matière de lutte contre le terrorisme islamiste, le moindre observateur questionnerait trois hypothèses, à l’instar des interrogations soulevées par un Mohamed Merah, le terroriste de Toulouse. Oswald était-il un « loup solitaire » guidé par son idéologie marxiste et inspiré – mais pas embrigadé – par ses compagnons de route soviétiques et cubains ? Etait-il un agent de La Havane à une époque où, face aux tentatives de la Maison Blanche d’assassiner Fidel Castro, le Lider maximo était soupçonné de vouloir éliminer, lui aussi, son rival ? Enfin, dernière hypothèse, Oswald était-il un agent de la CIA infiltré dans les milieux castristes ? Et à ce titre, aurait-il servi les opposants cubains installés aux Etats-Unis et déçus par la politique de John Fitzgerald Kennedy ? Après la tentative ratée de renversement de Fidel Castro lors de l’invasion de la Baie des cochons (avril 1961), la crise des missiles entre Etats-Unis et Union soviétique (octobre 1962) aurait débouché sur un accord donnant donnant : retrait des armes nucléaires soviétiques de Cuba contre promesse américaine de ne plus chercher à renverser le régime castriste. Une perspective imbuvable pour les anticommunistes cubains.

Dans Anatomie d’un assassinat, Philip Shenon révèle qu’un enquêteur de la Commission Warren, William Coleman, a interrogé Fidel Castro à sa demande à l’été 1964, sur un bateau aux large des côtes cubaines : « En dépit de la Baie des cochons et de toutes les tentatives de l’administration Kennedy pour le renverser, voire le tuer, Castro tenait à dire qu’il ne pensait pas de mal de Kennedy » et qu’il n’était pour rien dans l’assassinat, résumera Coleman.

CIA-FBI : dysfonctionnements ou complot ?
Pistes négligées, témoignages ignorés, documents occultés ou détruits… : à la Commission Warren, le FBI comme la CIA cachent nombre de renseignements cruciaux, toujours guidés par cette préoccupation de ne pas accréditer l’idée d’un complot national ou international. Deux explications plausibles à cette rétention d’informations. Une, politique : empêcher la mise au jour d’un complot ourdi à l’intérieur même du pouvoir américain. L’autre, plus prosaïque : masquer les incroyables dysfonctionnements qui ont entouré la surveillance de Lee Harvey Oswald avant son geste fatal. A Philip Shenon, ancien journaliste du New York Times, le chef du FBI Clarence Kelley, successeur d’Edgar J. Hoover en poste à l’époque de l’assassinat, déclare que « si l’antenne de Dallas avait été informée de ce qu’on savait sur Oswald au FBI et à la CIA, il ne fait pas de doute que Kennedy ne serait pas mort à Dallas le 22 novembre 1963 ». Dysfonctionnement ou conspiration ? En 2029, l’ouverture de nouvelles archives permettra peut-être de trancher.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire