Sarajuddin © AFP

Les livreurs de Kaboul face aux pièges d’une ville hostile

Le Vif

Sarajuddin, un jeune coursier afghan, arrête sa moto sur une route en terre de Kaboul et appelle son client pour se faire guider. « Je suis dans la deuxième rue, par où dois-je aller maintenant ? »

Trouver une adresse dans le labyrinthe des rues de la capitale afghane, souvent dépourvues de noms ou de numéros, est un défi pour les livreurs pressés, de plus en plus sollicités à mesure que le commerce en ligne se développe en Afghanistan.

Après avoir négocié son passage à travers une série de barrages de sécurité, un trafic surchargé et des routes parsemées de nids-de-poule, Sarajuddin se présente souvent chez son client avec plusieurs heures de retard sur l’horaire de livraison prévu. Il doit alors affronter colère et, parfois, insultes.

« Vous ne pouvez jamais savoir combien de temps cela vous prendra pour vous rendre à une adresse à Kaboul », explique à l’AFP le jeune homme de 24 ans, alors qu’il se prépare pour sa prochaine course. « Les estimations de durée du trajet et de distance peuvent s’avérer complètement bidon. »

Le problème est susceptible de s’aggraver alors que le commerce en ligne commence à décoller dans le pays, alimentant l’appétit pour les services de livraison à domicile.

Ces dernières années, une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs branchés est apparue sur un marché internet encore modeste (8 millions de personnes, soit moins d’un tiers de la population) mais en pleine croissance.

Des myriades de boutiques en ligne, vendant des produits allant des chapelets aux crèmes censées améliorer les performances sexuelles sont nées, et font leur promotion sur Facebook ou d’autres réseaux sociaux.

Pour les distribuer, elles ont recours à des livreurs.

– ‘Un vrai casse-tête’ –

« Nous promettons de livrer le produit au client en une heure, mais il en faut deux ou plus pour trouver l’adresse », reconnaît Ahmad Asmar Faqiri. Il a récemment lancé Foodbooking, qui livre des plats cuisinés dans la capitale afghane.

« C’est un vrai casse-tête à Kaboul. Dans la plupart des cas, même si nos livreurs parviennent dans la zone, ils doivent encore appeler trois fois en moyenne le client pour arriver jusqu’à lui physiquement. »

Sans compter qu’il n’existe pas de moyens de paiement mobile, le client doit régler sa commande en espèces au moment de la livraison.

Le gouvernement affirme travailler à un système pour faciliter les transactions. Mais pour l’entrepreneur Lais Shujja, « jusqu’ici c’est surtout du bla-bla ».

En attendant, les coursiers doivent se déplacer avec de grosses sommes d’argent sur eux, devenant des cibles de choix.

Un livreur de plats cuisinés a récemment été agressé en se rendant chez un client. Les assaillants l’ont frappé et lui ont volé argent, téléphone et mobylette, selon M. Faqiri.

Le gouvernement afghan espère que le secteur du commerce en ligne, à ce stade encore balbutiant, aidera à créer des emplois dans un pays où le taux de chômage tourne autour de 40%.

Shah Faisal a fait un gros pari il y a trois ans lorsqu’il a investi toutes ses économies (environ 3.000 dollars) dans un commerce en ligne de vêtements. Depuis, ses ventes ont bondi, passant d’une à deux par semaine à plus de 100 par jour. Il emploie 20 personnes.

« Ma famille craignait que je perde mon argent durement gagné, mes amis m’ont dit que j’étais naïf, certains se sont même moqués de mon idée », rapporte ce jeune homme de 27 ans, dont l’entreprise en ligne fut l’une des premières à émerger dans le pays.

– Succès ‘encourageant’ –

Malgré les nombreux problèmes auquel est confronté le secteur, y compris le manque de régulations sur la qualité des produits vendus, les responsables se disent optimistes. « Rien n’est parfait d’emblée mais le succès de ces premières entreprises en ligne est encourageant pour d’autres qui voudraient se lancer », souligne Naqibullah Larawy, directeur financier de la Chambre de commerce et d’industrie d’Afghanistan.

« Beaucoup d’Afghans sont tentés et même fascinés par (l’idée) de commander en ligne et de recevoir leurs achats à leur porte », dit-il à l’AFP en marge d’un séminaire sur le sujet.

Certains Afghans apprécient de voir leurs achats livrés chez eux ou à leur bureau, évitant ainsi de s’exposer aux violences qui ravagent la ville.

« J’ai toujours préféré voir et toucher un produit avant de l’acheter mais j’ai été obligée d’envisager (le shopping en ligne) après d’affreuses attaques suicides qui ont tué beaucoup de gens, y compris un de mes amis », explique une cliente, Madina Sadat, sur Facebook.

Les retards de livraison n’en restent pas moins une source d’irritation.

« Les services de vente en ligne sont appréciables, surtout quand on est livré dans les temps », note Zabihullah Danish, en réceptionnant son paquet auprès du livreur Sarajuddin. « Mais parfois ce n’est pas le cas. J’espère que ça s’améliorera à l’avenir. »

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