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Les Ivoiriens redoutent une guerre civile

Dans les rues d’Abidjan, la capitale économique, les habitants craignent de voir le pays se déchirer encore davantage.

Attroupés devant les kiosques, les Abidjanais tentent de se faire une idée de ce qu’a pu donner la rencontre entre les trois émissaires de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao) et les deux présidents ivoiriens ce mardi.

L’exercice est difficile car, en Côte d’Ivoire, les journaux prennent des libertés et participent directement à la lutte politique. Le Démocrate, journal pro-Ouattara, annonce déjà que l’Ecomog, le bras armé de la Cédéao, prépare « l’artillerie lourde » avec « 20 000 hommes parmi les mieux entraînés » soutenus par des « alpha jet ultra rapides télécommandés » et un porte-avions. A côté, Notre Voix, supporter de l’autre camp, croit savoir que les trois présidents de la Cédéao auraient admis « avoir été bernés » par les proches d’Alassane Ouattara.

« C’est tout le temps comme ça ici, ça ne sert à rien de lire les journaux, ils racontent n’importe quoi. » Excédé, ce passant s’en va. Depuis deux semaines, la télévision nationale véhicule les théories officielles accusant la France et les Etats-Unis de complot. De nombreux experts, tous inconnus, se succèdent pour expliquer leur vérité à des Ivoiriens qu’ils appellent à la résistance. Fatmah, une jeune Abidjanaise, hésite entre rire et colère. « Comment peut-on croire des choses pareilles? C’est dangereux! » L’idée d’une opération militaire l’inquiète. « C’est toujours la même chose. C’est nous qui risquons de nous faire tuer pendant qu’eux resteront cachés à l’abri ».

Une intervention armée africaine? « C’est notre seule chance »

L’intervention militaire promise par la Cédéao vendredi dernier n’aura pas lieu tant que les émissaires qui doivent revenir la semaine prochaine n’auront pas renoncé au dialogue. Jean-Louis, militant pour Laurent Gbagbo, se dit convaincu que les chefs d’Etat africains vont changer d’avis: « Ils veulent trouver une issue diplomatique ». Il remarque grâce aux journaux qu’ils « ne sont pas d’accord » et qu’il « n’y en a que trois qui veulent attaquer la Côte d’Ivoire ». Lui était mardi à Yopougon où une foule a blessé deux Casques bleus qu’elle soupçonnait de vouloir saboter l’usine thermique. A Adjamé, un autre quartier populaire où des heurts continuent d’avoir lieu quotidiennement, un habitant espère de tout son coeur que la Cédéao restera ferme. « On est obligés de se défendre nous-mêmes, s’inquiète t-il, l’Ecomog est notre seule chance. »

La majorité des habitants de la capitale économique rejette toute idée de violence et espère pouvoir retrouver une vie normale. Depuis le début de la semaine, les militants pro-Ouattara tentent d’imposer la grève réclamée par leur président. La circulation des transports se fait de plus en plus difficile, empêchant les gens d’aller normalement au travail. Sur les marchés, les prix des denrées continuent de grimper.

Dans un bar, Erikson, informaticien, essaie de prendre du recul sur la situation. En 2004, il était parmi les Jeunes patriotes qui réclamaient la tête des Français. « On a cru que notre président était en danger alors on a voulu le défendre, se souvient-il ». « Aujourd’hui, c’est différent, Laurent Gbagbo n’a pas été élu normalement. » Il ne soutient plus aucun des deux présidents mais rêve d’un réveil de la Côte d’Ivoire avant de remarquer avec un grand sourire les paroles de la chanson qui passe. Alpha Blondie, véritable figure locale, chante « la république bananière finira par la guerre civile ».

Par Romain Mielcarek, à Abidjan, L’Express.fr

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