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Les islamistes adoptent un profil bas en Tunisie

Ils promettent de ne pas présenter de candidats à la présidentielle tunisienne et s’efforcent de rassurer. L’intelligentsia laïque s’interroge sur la façon de les combattre.

Combien pèsent-ils sur l’échiquier politique tunisien? Nul ne le sait Mais la démocratie tunisienne devra compter avec les islamistes du mouvement Ennahda. Pour l’heure, ceux-ci adoptent un profil bas, et jurent qu’ils n’ont pas d’autre objectif que de jouer le jeu du pluralisme politique.

Le parti devrait prochainement déposer une demande afin d’être officiellement reconnu. Mais, s’il entend être partie prenante de la nouvelle donne, il ne veut pas brusquer les choses. Les islamistes savent qu’ils font peur à ceux qui ne sont pas de leur bord, en Tunisie et à l’étranger. « Nous ne présenterons pas de candidat à l’élection présidentielle » confirme Ali Larib, le porte-parole du mouvement, « car nous devons, tenir compte des équilibres existant et des difficultés de la transition. Il faut d’abord implanter la culture démocratique dans le pays ». Sami Dilou, avocat et membre lui aussi d’Ennahda, est plus explicite: « Pendant des années, Ben Ali a brandi l’épouvantail islamiste pour faire peur aux Tunisiens et aux Occidentaux. Nous devons rassurer. Gouverner n’est pas notre priorité. Le pays doit d’abord faire l’apprentissage de la démocratie. Nous serons représentés mais il n’y aura pas de ras de marée islamiste, cela ne serait pas souhaitable. »

Le droit des femmes

Sur le fonds aussi, ils s’efforcent de rassurer: pas question de toucher aux droits des femmes, ils respecteront sur ce point la plate-forme du « collectif 18 octobre », un texte commun signé en 2005 avec des formations de gauche. Leur prochaine campagne devrait surtout mettre l’accent sur la lutte contre la corruption et les privilèges. « Il faut créer les conditions qui permettent aux entreprises de fonctionner dans la transparence et la libre-concurrence » souligne Ali Larib. Il affirme qu’Ennahda, sur l’échelle de l’islamisme politique, se situe « entre le Parti Justice et Développement marocain (islamo-conservateur NDLR) et l’AKP turc. » « Nous sommes, précise-t-il, un peu plus libéraux que le PJD, et un peu moins que l’AKP qui évolue dans une société un peu différente de la notre ».

Sur Facebook, la référence à l’AKP de Recep Tayyip Erdogan revient souvent dans les débats sur l’avenir de la Tunisie dans l’hypothèse où les islamistes finiraient par l’emporter. L’intelligentsia laïque tunisienne n’est pas rassurée pour autant. « Pour l’instant, le mouvement révolutionnaire est un mouvement sans idéologie autre que la démocratie et la liberté. Mais il risque fort d’être récupéré par les islamistes » dit un professeur de philosophie venu en observateur assister au happening de l’avenue Bourguiba, au centre de Tunis, où les manifestations se sont succédées pendant tout le week end.

Le politologue Hamadi Redissi, militant de la laïcité et auteur de plusieurs ouvrages sur l’islam et la modernité (dont « Comment l’islam est devenu sectaire », publié en 2007) se dit lui aussi convaincu que le jeu de la démocratie finira par porter les islamistes au pouvoir en Tunisie. Il propose d’allumer un contre-feu en modifiant le premier article de la constitution (1) pour faire de la Tunisie un Etat « neutre » vis à vis de toutes les religions. Ce sera l’un des objectifs de la toute nouvelle association de défense de la laïcité dont il a déposé ce 24 janvier les statuts. « Si nous obtenons cette réforme de la constitution, alors nos islamistes ne pourrons pas imposer la charia. Ils seront dans le même cas de figure que l’AKP en Turquie ». Il a bien peu de chances d’y parvenir… d’autant que d’autres verraient bien au contraire proclamer le caractère musulman de l’Etat tunisien. Le juriste Yadh ben Achour, qui préside la commission chargée de proposer la révision des textes, dont la constitution, ne cache pas qu’il préférerait amender le texte de 1959 plutôt que d’ouvrir cette boîte de Pandore….

Dominique Lagarde, L’Express.fr
(1) « La Tunisie est un Etat indépendant et libre, sa religion est l’islam, sa langue est l’arabe, son régime la République. »

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