L'Affaire de Jérôme Cahuzac, un cas célèbre de fraude fiscale © REUTERS

Les fraudeurs fiscaux seront-ils épargnés dans la loi de moralisation de la vie publique en France ?

Depuis 1917, et plus particulièrement depuis la mise en place de la Commission des infractions fiscales en 1977, les évadés fiscaux bénéficient d’un traitement tout à fait particulier en France.

Le projet de loi de la moralisation de la vie publique, actuellement en débat à l’Assemblée nationale, était une occasion pour les députés de rétablir la justice des citoyens français devant l’impôt. Mais les députés de La République en Marche semblent être d’un autre avis.

C’était une mesure centrale dans le programme du candidat Emmanuel Macron : « une grande loi de moralisation de la vie publique« , avait publiquement promis, le 2 mars 2017, celui qui se faufilera quelques semaines plus tard au sommet de l’Etat français.

Deux mois après son élection, Emmanuel Macron semble spécialement être engagé dans deux chantiers : la réforme du Code du travail par ordonnances et la moralisation de la vie publique. Le 12 juillet dernier, le projet de loi « rétablissant la confiance dans l’action publique » (le nom officiel de la loi de moralisation de la vie publique) a été adopté par le Sénat – après des épisodes parfois rocambolesques, en témoigne le rejet de la suppression des emplois familiaux avant sa validation 24 heures plus tard. Depuis lundi dernier, c’est à l’Assemblée nationale que le projet de loi est débattu.

Conséquence directe de la méfiance à l’égard des politiques provoquée par les soupçons d’emplois fictifs impliquant différents candidats à l’élection présidentielle, le projet de loi de moralisation de la vie publique est l’une des rares mesures à faire l’unanimité au sein du Parlement. Enfin, pas sur tous ses articles : si l’interdiction des emplois familiaux pour les élus locaux, les parlementaires ainsi que les ministres, a été confortablement votée à l’Assemblée nationale, les députés ont refusé de faire sauter le « verrou de Bercy ».

Le « verrou de Bercy », c’est quoi ?

Dans le droit commun français, c’est le procureur de la République qui décide d’engager une poursuite judiciaire. Sauf quand il s’agit des fraudeurs du fisc. Ceux-ci bénéficient d’une dérogation à la loi, qui empêche le procureur d’engager une enquête pour fraude fiscale. Dans ce cas, seul le ministre du Budget, après autorisation de la CIF (Commission des infractions fiscales), détient le pouvoir de donner le feu vert au procureur pour entamer une enquête sur un contribuable soupçonné de fraude fiscale.

En effet, la loi du 29 décembre 1977 a mis en place la Commission des infractions fiscales, communément appelée « verrou de Bercy » – du nom de la rue, Bercy, où se trouve le siège du ministère du Budget. A chaque constat de fraude fiscale, cette autorité administrative indépendante, composée de 24 membres, procède à un vote intérieur en vue d’autoriser, ou pas, le ministre du Budget à saisir la justice.

Outre le « verrou de Bercy », il existe une autre piste proposée par le ministère du Budget aux évadés fiscaux pour échapper à la sanction pénale, mais aussi à de fortes amendes. Il s’agit de la « cellule de dégrisement », devenue depuis 2013 (après l’affaire Cahuzac) la « cellule de régularisation » – dont la fermeture est vraisemblablement en cours de discussion par le gouvernement actuel. Mise en place en 2009 suite à l’affaire des évadés fiscaux français de la banque HSBC, cette cellule dite de « repentance », permet aux fraudeurs du fisc de se présenter volontairement à Bercy afin de régulariser leur situation irrégulière « à l’amiable ». Concrètement, d’une part, ils bénéficient d’un taux d’impôt plus bas que celui appliqué lors d’un contrôle fiscal ordinaire, d’autre part, ils sont exonérés de la poursuite du tribunal correctionnel.

La République en Marche seule contre tous pour maintenir le « verrou »

Après avoir rejeté la suppression totale du verrou de Bercy, quelques heures plus tard, les députés ont également voté contre la levée partielle du « verrou de Bercy ». Ce dernier vote a connu la première scission au sein de la majorité parlementaire (LRM et le Modem). En effet, les députés du Modem ont voté, comme tous les partis se revendiquant de l’opposition et à l’opposé de leurs collègues de LRM, contre le maintien du système du « verrou de Bercy ». De plus, certains marcheurs ont préféré s’abstenir, ce qui a résulté d’une majorité ne dépassant pas 11 voix en faveur du maintien de ce montage administratif.

Quels sont les arguments du pouvoir exécutif pour maintenir le « verrou de Bercy » ?

Si Bruno Le Maire, ministre de l’Economie et des Finances actuel, a habilement esquivé la question de France info sur ses arguments pour maintenir le « verrou de Bercy », l’ancien ministre du Budget, Bernard Cazeneuve, a été nettement plus clair dans ses propos. Interpellé sur la question par la sociologue Monique Pinçon-Charlot, Bernard Cazeneuve se justifie : « On ne peut agir comme si la fraude pouvait se résoudre uniquement par l’incarcération des fraudeurs. Mon approche est plus pragmatique. Je recherche l’efficacité. En sept semaines, 1100 contribuables se sont dits déterminés à remplir leurs obligations fiscales, soit autant qu’en deux ans« .

Quoi qu’il en soit, on se dirige actuellement vers le maintien du « verrou », du moins, dans le cadre de la loi de moralisation de la vie publique. Il ne serait cependant pas illégitime pour les Français de considérer que tant que le « verrou » reste en place, la célèbre maxime de La Fontaine, formulée en plein Ancien régime, restera toujours d’actualité : « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements vous rendront blanc ou noir« .

Nidal Taibi

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