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Les domestiques, autres travailleurs esclaves au Qatar

Le Vif

Dans un rapport sur les conditions de travail au Qatar, l’ONG Amnesty International pointe du doigt la situation des employés de maison qui ne sont pas protégés par le Code du travail.

A mesure que les travaux pour la Coupe du monde 2022 avancent au Qatar, les observations sur les conditions de travail se multiplient. L’ONG de défense des droits de l’homme Amnesty International publie un rapport sur les conditions de travail des immigrés dans l’Emirat. Celles des employés de maison, majoritairement des femmes, ne sont même pas régies par le Code du travail qatari.

Au Qatar, les travailleurs migrants -Philippins, Pakistanais, Indonésiens ou Bangladais- sont entre 1,2 et 1,4 million, soit 94% de la main d’oeuvre du pays. Parmi eux, on compte environ 130 000 employés de maison dont 80 000 femmes. Amnesty International constate que l’exclusion du Code du travail, l’isolement par rapport à d’autres travailleurs et une loi sur le parrainage les mettent à la merci de leurs employeurs.

La toute-puissance du patron

Pour travailler au Qatar, tous les immigrés doivent se plier à la kafala. Ce système les oblige à avoir un « parrain », leur employeur. « En vertu de ce texte, les employeurs peuvent empêcher leurs employés de changer de travail ou de quitter le pays et annuler leur permis de séjour », explique Amnesty. C’est encore l’employeur qui doit donner son aval pour l’obtention ou le renouvellement de ce permis, appelé « pièce d’identité »: sans ce sésame, les travailleurs immigrés peuvent être arrêtés.

Quitter le pays est mission impossible. Un permis de sortie est délivré avec l’aval du parrain qui, bien souvent, refuse et conserve le passeport. Reza, employé depuis 2010 dans une région désertique, aimerait partir. Mais il est dépendant de son employeur qui lui apporte eau et nourriture. S’il fuit, son patron doit le déclarer comme « fugueur ».

Pas de salaire et un repas par jour

Dans ces conditions, le travail devient un étau. Obtenir un permis de conduire, louer un logement ou ouvrir un compte en banque est impossible sans l’aval du parrain-employeur, explique le New York Times, qui a rencontré Theresa, une employée de maison originaire des Philippines. En 2012, on lui promet 400 dollars par mois, qui ne sont plus que 250 dollars à son arrivée. Elle ne mange qu’un repas par jour, composé des restes laissés par ses employeurs, et travaille sept jours sur sept: elle fuit au bout de huit mois, faute de pouvoir démissionner.

Même histoire pour Maria, rencontrée par Amnesty International. A son arrivée, le salaire ne correspond pas à ce qui a été annoncé, son passeport, ses papiers, ses vêtements et son téléphone portable lui sont confisqués. Elle se voit contrainte de travailler chaque jour de la semaine, de 5h30 à minuit: si elle part, elle ne touche pas ses émoluments. En effet, l’employeur est juridiquement responsable de ses employés, et ceux-ci s’engagent pour une durée déterminée. Souvent, les domestiques ne sont payés qu’au terme de leur contrat. Et sans protection du Code du travail, les domestiques n’ont aucun recours en justice possible.

S’arranger du droit international

La situation ne semble pas près de s’améliorer. En 2007, l’ancien Premier ministre du Qatar, Cheikh Hamad bin Jassem bin Jaber al Thani, a reconnu que le régime de délivrance des permis de sortie « est assimilé à de l’esclavage ». Mais en 2009, la dernière loi sur le parrainage a conservé ce régime intact. Plus récemment, en 2012, le Qatar a créé un comité d’experts pour examiner la loi sur le parrainage dont les décisions ne sont pas encore connues.

Signataire de plusieurs textes sur le droit du travail au niveau international, le Qatar s’en accommode à sa façon. La Convention n°29 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui définit le « travail forcé » (un travail contre le gré de l’employé et une menace crédible de sanction) compte parmi ses membres l’Emirat. De même que le Protocole de Palerme qui cite la tromperie sur les conditions de travail parmi les caractéristiques de la traite des personnes.

Un foyer qatari emploie en moyenne trois personnes: 95% des familles ont une domestique, 50% en ont au moins deux. D’après le New York Times, 90% des Qataris sont défavorables à un assouplissement de la kafala. 30% souhaiterait même un renforcement du droit des employeurs. Même si le Qatar signe la Convention n°189 de l’OIT sur le travail décent des employés de maison, la situation des domestiques ne pourra évoluer qu’avec les mentalités.

Par Marie Le Douaran

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