Joseph Kabila © REUTERS

Les derniers soubresauts de Joseph Kabila

Elien Spillebeen
Elien Spillebeen Journaliste à l'origine du monument en ligne Beni Files

« Le mandat de Kabila est expiré depuis sept mois et il y a unanimité sur le fait qu’il doit plier bagage », dit la journaliste Elien Spillebeen à propos de l’avenir du Congo.

Il y a plus d’un an que les Congolais attendent la publication de leur calendrier des élections. Ils veulent voter, et de préférence encore cette année.

Kabila doit partir. Là-dessus, ils sont d’accord depuis longtemps. Pour l’instant, la question de sa succession est encore secondaire. Mais le mandat de Kabila est expiré depuis sept mois et il y a unanimité sur le fait qu’il doit plier bagage. Cette fois, le temps du compromis est révolu.

La semaine dernière, les jeunes activistes de LUCHA sont descendus paisiblement dans la rue. Dans toutes les grandes villes, ces petits groupes de jeunes ont invité la commission électorale à publier le calendrier des élections.

Ils ont été arrêtés presque immédiatement. À Bukavu, ils se sont même fait tirer dessus. Et descendre dans la rue comporte des risques, car pour l’instant, on répond par la répression. Lundi aussi, des jeunes d’une secte religieuse ont suivi l’appel du leader de descendre dans la rue. Il y a eu quinze morts.

On n’en voudra pas aux Congolais moyen de ne pas vouloir risquer leur vie pour arracher le droit de voter. Cependant, les journées « Villes mortes » (NDLR : où l’activité tourne au ralenti dans les villes) sont généralement bien suivies. On n’arrête pas quelqu’un parce qu’il ferme son magasin et passe la journée à l’intérieur. Avec leurs villes mortes, les Congolais prouvent que le chaos n’est pas total, et c’est un signal clair à Kabila qui considère le chaos comme le dernier recours.

Kabila, autocrate dans un pays chaotique

Dans une interview accordée à l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, il affirmait que l’organisation d’élections en soi n’était pas le problème : « S’il le faut, on peut les organiser demain. Mais quel est le résultat d’élections chaotiques ? Uniquement plus de chaos ! », a-t-il déclaré.

Depuis l’année passée, les violences ont effectivement augmenté. L’année dernière, on a découvert plus de quatre-vingts fosses communes dans le Kasaï. Les violences ont coûté la vie à au moins trois mille citoyens. L’Est aussi est à nouveau en proie aux troubles. Les groupes Maï-Maï s’y marchent sur les pieds. Il ne se passe pas une journée sans incident violent.

Kabila semble profiter de ces violences. Après l’interview accordée au Spiegel, l’opposition l’a accusé d’alimenter le chaos.

Entre-temps, cette inquiétude a été exprimée dans un rapport récent des Nations-Unies. Dans le rapport publié vendredi par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme les rapporteurs dénoncent littéralement un intérêt politique possible au chaos dans le but de renvoyer les élections aux calendes grecques :

« La crise dans le Kasaï a lieu au niveau national dans un environnement politique de plus en plus instable, ce qui peut mener à la suspension pour une durée indéterminée des élections présidentielles en vertu de raisons de sécurité. »

Kabila croit-il vraiment qu’il pourra garder son poste encore longtemps? D’après Kris Berwouts, analyste et auteur du livre « Congo’s Violent Peace », Kabila n’est pas tranquille et se montre même paranoïaque. « Il règne une atmosphère de fin de régime au sein de la majorité. Nous devons être conscients de la division au sein du régime. Cela rend Kabila particulièrement vulnérable. Il en est conscient », ajoute Berwouts.

Quo vadis Kabila?

Kabila va-t-il subir le même sort que son père, tué en 2001 lors d’un coup d’État avorté ? Vu ses tentatives désespérées de garder le pouvoir le plus longtemps possible, un tel scénario n’est pas exclu.

Sa paranoïa à l’égard de son entourage n’est probablement pas tout à fait injustifiée. En revanche, une véritable révolution, où l’armée se retourne contre lui, est moins évidente. L’armée et l’opposition sont très divisées. L’histoire du Congo nous montre que la véritable révolution est généralement conduite depuis l’extérieur du pays.

Selon Kris Berwouts, il faut également regarder les pays voisins. « On ne peut jamais exclure que quelqu’un à l’intérieur de l’armée, ou d’une partie de l’armée veuille prendre le pouvoir. Mais en ce moment, c’est l’Angola qui semble peser le plus lourd comme éventuel ‘game changer' ».

Selon Berwouts, l’Angola craint que les violences au Congo le déstabilisent. Le 23 août, il y aura des élections présidentielles en Angola, et pour la première fois en trente-huit ans, il faudra élire un président. Suite aux prix du pétrole en baisse et aux élections planifiées, les inquiétudes augmentent également en Angola. Les semaines à venir seront un test important pour le pays, et les troubles au Congo tombent très mal. Mais en quelle mesure l’Angola est-il prêt à agir ? Pour l’instant, il semble s’en tenir à une pression diplomatique, car la fièvre électorale l’oblige d’abord à maîtriser les émotions de son propre pays.

Calme avant la tempête

Pour toute sécurité, le Congo a coupé le contact avec le monde extérieur. Lundi, l’opérateur télécom Orange a dévoilé une lettre lui ordonnant de limiter la communication par les réseaux sociaux en réduisant la capacité du réseau au minimum.

Il ne fait pas de doute que Kabila espère rendre la répression moins visible dans les médias internationaux et rendre les nouvelles protestations plus difficiles. Cependant, ce silence radio forcé n’est qu’un dernier soubresaut du futur ancien président de la République pas très démocratique du Congo. Ce n’est que le calme avant la tempête.

Alors que l’année dernière, ils avaient encore tenté d’obtenir un compromis, les évêques incitent à présent les Congolais à prendre les rênes. Et entre-temps, les Congolais sont devenus très habiles. À l’aide d’une connexion VPN, beaucoup de Congolais contournent les restrictions sur les réseaux sociaux. Si d’ici la fin du mois il n’y a toujours pas de calendrier électoral, le 1er septembre l’opposition lancera la campagne #KabilaDegage.

Chaque jour, Kabila voit fondre un peu plus ses chances d’entamer la nouvelle année au poste de président.

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