© AFP - ELIAS ASMARE

Les Chefs d’État africains s’offrent l’immunité contre les crimes de guerre

Stagiaire Le Vif

Les dirigeants africains ont franchi une étape supplémentaire pour obtenir l’immunité contre toute poursuite pénale, à l’issue du sommet de l’Union africaine. Les défenseurs des droits de l’Homme estiment que c’est une régression dans la lutte contre les crimes et autres violations des lois en Afrique. Le professeur de droit international Eric David nous éclaire sur les conséquences d’une telle décision.

Lors d’une séance à huis clos, les chefs d’Etat africains ont voté à l’unanimité une mesure leur octroyant l’immunité durant leur mandat. Une décision prise fin juin lors du 23e sommet de l’Union africaine à Malabo, capitale de la Guinée équatoriale, mais qui reste à ratifier. La future Cour africaine de justice et des droits de l’homme (CADH) mise en place pour juger les pires crimes ne sera donc pas autorisée à assigner les dirigeants africains et leurs gouvernements. Ils deviendront donc intouchables.

Ce texte constitue « un pas en arrière dans la lutte contre l’impunité et la trahison des victimes de sévères violations des droits de l’Homme », a fait savoir, au journal britannique The Telegraph, le porte-parole d’Amnesty International.
Certaines voix critiques s’élèvent et craignent que les dirigeants restent en poste à l’issue de leur mandat, à travers des fraudes électorales et par là éviter toute plainte.

Les défenseurs des droits de l’Homme espéraient que la nouvelle Cour africaine de justice débuterait sa mission sans ingérence politique. « Nous sommes profondément déçus que les chefs d’État et de gouvernement n’aient pas réussi à fournir le leadership nécessaire pour assurer la justice pour les victimes de crimes relevant du droit international, optant plutôt pour eux-mêmes et les générations futures et les dirigeants protéger contre des poursuites pour abus graves », déplore Netsanet Belay, directeur de la section recherche et plaidoyer d’Amnesty International.

Actuellement, font l’objet d’enquêtes de la part de la Cour pénale internationale (CPI) Uhuru Kenyatta et William Ruto, respectivement président et vice-président du Kenya, Omar Al Bashir, ancien président du Soudan, Laurent Gbagbo, ancien président de Côte d’Ivoire. La CPI, contrairement à la Cour africaine de justice, peut poursuivre des hauts responsables en exercice.

Réda Bennani (St.)

Interrogé par nos soins, le professeur Eric David, président du centre de droit international à l’ULB, et président de la Commission consultative de droit international humanitaire de la Croix-Rouge de Belgique, nous explique les enjeux.

L’assemblée a déjà tenté de statuer sur un amendement qui offre l’immunité aux chefs d’Etat africains, comment se fait-il ‘qu’enfin » – cette année – l’unanimité a été trouvé pour ce vote ?
En raison de cette « Sainte-Alliance » mafieuse que forment certains chefs d’Etat pour éviter de répondre pénalement des pires crimes commis sous leur autorité.

Quelles peuvent être les conséquences de cet accord ?
Juridiquement, cela n’aura pas de conséquence tant que 15 Etats africains n’auront pas ratifié l’amendement (de l’article 46 bis, ndlr.) octroyant une compétence répressive à la Cour africaine des droits de l’homme (CADH). Le jour où cet amendement entrera en vigueur (si cela arrive un jour), le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) ne cessera pas d’exister pour autant. Si les Etats africains parties, à la fois, au Statut de la CPI et au Statut amendé de la CADH ne dénoncent pas le premier, la CPI conservera sa compétence répressive à l’égard des dirigeants de ces Etats. Toutefois, la CADH devenant une nouvelle juridiction répressive internationale, des poursuites pénales intentées contre un chef d’Etat devant la CADH pourrait empêcher la CPI de connaître de l’affaire (en vertu du principe de complémentarité), mais à condition que ces poursuites soient sérieuses et ne soient pas un moyen de soustraire l’accusé à la justice.

Est-ce le signe d’un retour en arrière et d’étouffer tant de crimes ? Quel message aux victimes ? Politiquement et moralement, c’est en effet une manière de s’opposer à la lutte contre l’impunité et de faire croire à l’opinion publique que les plus hautes autorités politiques – ou du moins, certaines d’entre elles – seraient au-dessus des lois ! Juridiquement, cette tentative est vaine car, comme l’a dit la Cour internationale de Justice, en 2002, dans l’affaire Yérodia (RDC c/ Belgique), immunité ne veut pas dire impunité, en particulier, devant la CPI.

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