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Les camps de concentration pour Japonais, chapitre sombre de l’histoire américaine

Le Vif

Des baraquements alignés dans un désert de Californie battu par les vents: le camp de Manzanar fut l’un des dix ouverts par les Etats-Unis pour y parquer ses citoyens d’origine japonaise après l’attaque de Pearl Harbor, un chapitre sombre de leur histoire encore souvent méconnu.

« On nous a traités comme des ennemis », confie Rosie Kakuuchi, une survivante âgée de 88 ans aujourd’hui installée à Las Vegas. « Nous avons perdu notre liberté, nous avons été forcés de nous habituer à des conditions horribles », se souvient-elle, au moment où sont commémorés les 70 ans du premier bombardement nucléaire de l’histoire à Hiroshima, au Japon. Craignant l' »ennemi intérieur » après avoir déclaré la guerre au Japon un jour après l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, Washington mit rapidement en place des mesures de protection de son territoire. Racisme, méfiance, injures et parfois menaces violentes: les Américains d’origine japonaise devinrent tout à coup suspects dans la rue… et aux yeux du gouvernement. Le 19 février 1942, le président Franklin D. Roosevelt signa un décret établissant des zones militaires d’exclusion où les Américano-Japonais pourraient être contrôlés. Le gouvernement américain y installa dix camps de concentration, en Californie, Arizona et dans l’Utah, l’Idaho, le Wyoming, le Colorado et l’Arkansas. Plus de 112.500 Américano-Japonais y furent installés de force, où « délocalisés » (« relocated ») selon l’expression officielle, jusqu’en 1945.

Promiscuité

Comme tant d’autres, la famille de Rosie Kakuuchi dut abandonner précipitamment une vie passée à tenter de s’intégrer dans la société américaine. La décision de Washington tomba comme un couperet. « C’est mon pays, alors j’ai cru qu’ils faisaient ce qui était le mieux pour nous. Mais j’ai été vraiment déçue par nos dirigeants », se souvient-elle. Rosie Kakuuchi et les siens ont passé trois ans à Manzanar, un camp situé dans les montagnes californiennes de la Sierra Nevada où l’été est étouffant et la rigueur de l’hiver éprouvante. Elle avait 15 ans. Les journées semblaient éternelles au rythme des horaires stricts du camp sous le contrôle de gardes. Les quelque 10.000 habitants qui ont peuplé Manzanar finirent par organiser une véritable petite ville pour survivre à l’isolement, avec une école, une garderie, un hôpital, des commerces et même un cimetière. La plupart des adultes travaillaient et touchaient un petit salaire. Des bals, des projections de films étaient organisés et un journal fut même lancé. Mais la vie était dure. Les internés vivaient dans des baraquements battus par les vents, qui s’emplissaient de sable et de poussière. De nombreuses familles étaient forcées de partager leur logement, faute d’espace, ainsi que des toilettes et douches communes.

Effort de mémoire

« Ces camps représentent l’un des chapitres les plus honteux de l’histoire récente des Etats-Unis », analyse Alysa Lynch, l’une des responsables du musée qu’est devenu le site de Manzanar. Longtemps tue et oubliée, leur existence est aujourd’hui racontée à travers des objets et des témoignages sur le site de Manzanar, où trois baraques ont été reconstruites. « J’ignorais tout de ça », confie Jason Adler, la quarantaine, originaire de l’Ohio (nord) et venu visiter les lieux avec son fils. « Nous devons en faire plus pour conserver cette mémoire et raconter ce qu’il s’est passé, les gens doivent savoir qu’il y a eu dix camps de concentration dans ce pays », dit-il. Il a fallu attendre plusieurs décennies avant que Washington déclare avoir commis une erreur et présente ses excuses aux victimes. Le gouvernement de Ronald Reagan versa 20.000 dollars d’indemnités aux survivants en 1988. « Ca n’est pas vraiment suffisant mais au moins ils ont admis qu’ils s’étaient trompés », témoigne Rosie Kakuuchi. En 1945, quand les barrières des camps s’étaient rouvertes, elle avait dû rapidement constater que son ancienne vie avait disparu. « Ils m’ont donné 20 dollars et un billet pour aller quelque part. Nous n’avions nulle part où aller », se souvient-elle.

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