Jonathan Holslag

« Les Balkans sombrent à nouveau dans le désordre et il n’est pas certain du tout que l’intégration européenne soit la solution »

Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Il est clair que le passé n’a pas encore été accepté », déclare Jonathan Holslag. « Les politiques ont tendance à jeter de l’huile sur le feu. »

Ces deux dernières semaines, j’ai traversé les Balkans en tous sens. J’y ai discuté avec des politiques, des entrepreneurs, des diplomates et d’autres personnes, dans les villes et les villages. Ce que j’y ai vu et entendu ne m’a guère rassuré. Même s’il n’y a plus de guerre, la stabilité est particulièrement fragile. L’Europe se retrouve face à une tâche impossible. Tous les acteurs de la région sont soit candidats, soit candidats potentiels à rejoindre l’Union européenne : la Bosnie, la Serbie, la Macédoine, l’Albanie, le Monténégro et le Kosovo. Malheureusement, les Balkans sombrent de nouveau dans le désordre et il n’est pas certain du tout que l’intégration européenne soit la solution.

Les Balkans sombrent à nouveau dans le désordre et il n’est pas certain du tout que l’intégration européenne soit la solution

La guerre en Yougoslavie a coûté plus de 140 000 vies humaines. Si les tensions nationalistes, ethniques et religieuses ne se sont pas ravivées, c’est parce que les politiques pragmatiques ont offert à leurs citoyens la perspective de soutien européen, de régimes de visa favorable et finalement d’adhésion à l’UE. L’argent cash et les voitures coûteuses ramenées d’Europe occidentale par la diaspora, la prospérité visible de milliers de fonctionnaires étrangers et les milliards de soutien européen n’ont fait que renforcer ces attentes, ou du moins pour un temps.

« Sans l’Europe, nous sommes morts », ai-je entendu suggérer beaucoup de gens, mais en même temps ils s’interrogeaient également sur les profits économiques réels de la coopération européenne. Bien entendu, l’Europe construit des routes, mais celles-ci sont surtout utilisées pour l’export européen et le transit. Et quand on construit des usines, il n’y a pas d’argent pour les formations. Récemment, les ouvriers d’une usine Fiat en Serbie sont descendus dans la rue parce qu’ils ne s’en sortent pas avec 320 euros par mois. L’agriculture dans les Balkans est de petite dimension, mais la marée de produits alimentaires grecs, italiens et allemands ne lui permettra pas vraiment de se développer.

Jusqu’à présent, c’étaient les dons de la diaspora qui faisaient la différence, mais pour la deuxième génération c’est beaucoup moins évident d’entretenir ses neveux. Elle préfère venir exhiber ses voitures allemandes et dans le pire des cas elle emmène les plus jolies filles pour les épouser. C’est surtout au Kosovo et en Bosnie qu’il y a une différence immense entre le bling-bling de la diaspora et les conditions de vie de ceux qui restent. L’été, des dizaines de convois de voitures coûteuses immatriculées en Suisse, en Allemagne et en Belgique foncent sur les routes cahoteuses pour célébrer « l’exode » des épouses locales.

Aussi n’est-il guère étonnant que les jeunes locaux soient mécontents. Ils ont honte de leur existence de petit commerçant ou de vendeur de melons, mais comme le chômage atteint les 40% dans beaucoup de pays des Balkans, ils n’ont pas d’alternative et cela contribue à la radicalisation. Dans les quartiers pauvres de Serbie et de l’est de la Bosnie – la République serbe – j’ai vu des jeunes rouler à tombeau ouvert en vieille Golf dans des quartiers barbouillés de symboles serbes nationalistes et de slogans. Sur le chemin qui relie la frontière serbe à Sarajevo et au Kosovo, l’islam radical gagne du terrain. Les mosquées locales ont perdu le contrôle sur la génération d’après-guerre. Et en Macédoine, les tensions montent entre les Macédoniens et les Albanais.

Il est clair que le passé n’a pas encore été accepté. Les victimes et les criminels de guerre vivent dans les mêmes quartiers. Jusqu’à présent, la plupart des excès de l’extrémisme étaient isolés. Des diplomates m’ont parlé de fusillades, de vandalisme et de tentatives amatrices d’attentats. En plus, les politiques ont tendance à jeter de l’huile sur le feu. Au Kosovo, une coalition est tombée à la suite d’un différend frontalier avec le Monténégro. En Croatie, c’est le nationaliste radical Andrej Plenkovic qui dirige le gouvernement. La République serbe de Bosnie menace de faire sécession par un référendum et tient un langage menaçant envers les Bosniaques. Le président serbe Aleksandar Vucic se montre pragmatique pour entrer dans les bonnes grâces de l’Europe, mais il souhaite coûte que coûte garder sa base nationaliste.

Et puis, il y a les Russes qui financent les églises orthodoxes, les États du Golfe qui paient les mosquées, les Turcs qui cherchent l’amitié des Albanais et les Américains qui ont accumulé d’importants bénéfices économiques dans la région durant les guerres de Yougoslavie. On assiste donc à un concours de circonstances d’incertitude économique, d’extrémisme, d’opportunisme politique et de politique de grandes puissances. Les esprits s’échauffent dans les Balkans. Et je ne serais pas étonné qu’il y ait de nouveau du grabuge.

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