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Les années 30 sont-elles de retour ? La question partage les historiens

Le Vif

Buzz Windrip, leader politique démagogue et ignare se retrouve propulsé président des Etats-Unis avec la promesse de restaurer la grandeur du pays, en pleine dépression.

« Impossible ici ». Le roman publié en 1935 par l’Américain Sinclair Lewis (« It can’t happen here », dans sa version originale) est devenu un best seller des ventes en ligne depuis l’élection surprise de Donald Trump à la Maison Blanche. Le texte, traduit en 1937 par Raymond Queneau, vient d’être réédité en France.

Le succès de ce livre satirique, écrit en pleine montée des nationalismes en Europe, montre le regain d’intérêt pour une des décennies les plus troublées du 20e siècle. Peut-on faire un parallèle avec l’époque actuelle ?

Après la victoire du milliardaire populiste américain aux Etats-Unis, le vote des Britanniques en faveur du Brexit et la montée des partis d’extrême droite en Europe, ces questions divisent les historiens.

« Les époques ne sont pas les mêmes, ce n’est jamais la même chose, mais les réactions sont les mêmes », estime l’historien français Pascal Blanchard, co-auteur de l’essai « Les années 30 sont de retour ».

« Nous traversons une période de cataclysme ». Le Britannique Simon Schama, qui enseigne à l’Université de Columbia, n’hésite pas à comparer la victoire de Donald Trump à l’ascension d’Adolf Hitler, arrivé au pouvoir par le biais des urnes.

Après le communisme, l’islam radical

Sans aller jusque là, certains pointent des similitudes entre les deux périodes.

La tempête économique, déclenchée par la crise des « subprime » aux Etats-Unis en 2008, fait écho à la Grande Dépression de 1930, provoquée par le krach boursier de 1929. Découragés, amers, remontés contre l’élite financière et politique, les travailleurs pauvres et les chômeurs craignaient alors pour l’avenir de leurs enfants.

Les Juifs et les étrangers ont été pointés du doigt, la nostalgie d’un passé idéalisé s’est répandue, avec une peur diffuse de l’ennemi, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. A l’époque, la menace était communiste. Aujourd’hui, c’est l’islam radical.

Les années 30 furent marquées par l’essor des échanges internationaux, le développement des transports maritimes et aériens, la production de masse, les films produits à Hollywood, avec l’impression d’un temps qui s’accélère et d’un espace qui se rétrécit.

Pascal Blanchard voit dans cette décennie tragique « un début de mondialisation » qui a généré des peurs culturelles et économiques proches de celles d’aujourd’hui.

Mais pour l’historien britannique Antony Beevor, la comparaison ne tient pas. « Il est trop commode pour les alarmistes de succomber à la tentation des parallèles historiques faciles », écrit-il dans une analyse.

Son compatriote Ian Kershaw, connu pour ses travaux sur Adolf Hitler, confie que ses recherches en vue d’une publication sur l’Europe de 1914 à 1949 « donnent la chair de poule ». On pense ainsi à l’Autriche, où l’extrême-droite pourrait remporter la présidentielle, début décembre.

« Mais je ne pense pas que nous retournions à la période noire des années 30 car il y a autant de grandes différences que de similarités superficielles », a-t-il dit à l’AFP.

Rôle de l’Allemagne

Différence de taille, le rôle de l’Allemagne, perçue aujourd’hui comme le porte-étendard des valeurs démocratiques dans le monde et la clé de voûte de l’Union européenne, explique l’historien britannique.

Les démocraties européennes, « certes un peu fragiles quand on regarde la Hongrie et la Pologne », n’ont rien à voir avec les états autoritaires d’il y a 80 ans; l’équilibre entre les budgets consacrés à l’armée et les aides sociales a complètement changé, souligne-t-il.

Richard Overy, spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, va dans le même sens. « Nous vivons dans un monde de pays stables, il n’y a plus d’empires coloniaux mondiaux et l’Ouest est plus riche que jamais », explique-t-il à l’AFP.

« Il n’y a pas de ressentiments persistants » comme en Allemagne après la Première Guerre mondiale et « la démocratie s’est développée et renforcée partout. C’est pour cela que les comparaisons avec les années 30 me paraissent tellement déplacées », ajoute-t-il.

La prolifération des armes nucléaires a changé la manière de faire la guerre, tandis que les gouvernements ont, pour l’instant, évité l’écueil du protectionnisme, contrairement à ce qui s’est passé dans l’entre-deux-guerres mondiales.

Pascal Blanchard ne prédit pas une nouvelle guerre mondiale, mais averti que ses contemporains ne doivent pas se montrer trop confiants dans le rôle que peuvent jouer les institutions internationales dans les périodes troubles.

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