La polémique sur la collaboration de Lénine avec l'Allemagne dure depuis un siècle. © PHOTO NEWS

Lénine, un agent au service de l’Allemagne ?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Le Reich a facilité le retour en Russie de Lénine et financé la propagande bolchevique. Eclairage sur une polémique qui rebondit depuis un siècle et reste vive.

L’odyssée de Lénine à travers l’Europe dans son wagon soi-disant plombé, début avril 1917, est notoire. Moins connue, en revanche, est l’ampleur de sa collaboration avec le Reich, alors en guerre contre la Russie. Le pouvoir conquis, les bolcheviks se sont évertués à en effacer les traces, tant l’affaire cadrait mal avec la pureté révolutionnaire affichée. A la mi-novembre 1917, soit trois semaines à peine après le coup d’Etat, les archives russes seront expurgées des dossiers compromettants. L’un d’eux sera retrouvé des décennies plus tard, à la chute du communisme.

Pour rentrer en Russie depuis la Suisse, Lénine et une trentaine d’autres  » émigrés  » ont traversé l’Allemagne à bord d’un train placé sous la protection de l’armée allemande. Les conditions du  » transfert  » ont été négociées avec Berlin par un socialiste suisse. Le train jouit d’un statut d’extraterritorialité, à l’origine du mythe du fameux wagon  » plombé  » inventé par la propagande bolchevique pour tenter de démontrer l’indépendance de Lénine à l’égard de l’Allemagne.

Convergence d’intérêts

Le Kaiser facilite le voyage car il voit d’un bon oeil le retour en Russie d’agitateurs politiques. Il compte sur Lénine et les siens pour hâter la désagrégation de l’Etat et de l’armée russes, donc la fin des hostilités sur le front de l’Est. Lénine, lui, use de tous les moyens disponibles pour atteindre son objectif : renverser le gouvernement provisoire issu de la révolution de février 1917 et prendre le pouvoir. La convergence d’intérêts entre Allemands et bolcheviks est patente.

Les premiers contacts entre Lénine et le Reich remontent à mai 1915. Un sulfureux homme d’affaires, Alexandre Helphand, alias  » Parvus « , joue les intermédiaires en coulisse. Divers canaux de financement se mettent en place pour aider le parti bolchevique. L’une de ces filières lui permet de recevoir des subsides de Berlin en échange d’informations sur la situation intérieure russe.

A son retour en Russie, Lénine dispose d’une manne qui lui permettra d’entretenir un réseau de propagande bien supérieur au poids politique de son parti et à ses moyens réels. Ces financements occultes octroyés par Berlin finissent par être connus à Petrograd. Le scandale éclate publiquement en juillet 1917. Ce mois-là, les bolcheviks profitent de troubles pour tenter de s’emparer du pouvoir. Le gouvernement provisoire dirigé par Kerenski contre-attaque en divulguant des informations sur les tractations secrètes entre Lénine et les Allemands. Le leader bolchevique est contraint de passer à la clandestinité pour échapper à l’arrestation.

Un siècle de controverses

Lénine doit-il pour autant être considéré comme un agent allemand ? La polémique perdure depuis un siècle et reste vive. Des ouvrages, des documentaires et des sites Internet défendent cette thèse… ou la contestent. Pour Thierry Wolton, auteur d’Une histoire du communisme, l’accusation est absurde :  » Lénine n’a jamais été l’agent de quiconque, hormis celui de l’idéologie qu’il servait. La cause avait besoin du soutien de Berlin pour triompher ? Pourquoi pas.  »

Toutefois, cette collaboration avec l’Allemagne, même par pur opportunisme, brouille l’image de Lénine. Si une aide extérieure lui a été nécessaire, n’est-ce pas la preuve qu’il n’était pas en phase avec le peuple russe ? Et Thierry Wolton d’ajouter :  » De même que le coup d’Etat d’octobre 1917 devint dans l’historiographie un vaste sursaut populaire, de même le pouvoir bolchevique se devait d’effacer ces compromissions pour que l’épopée révolutionnaire demeurât une fable.  »

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