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Législatives en Russie: un revers cinglant pour Poutine

Le parti au pouvoir, Russie Unie, reste majoritaire. Mais le scrutin d’hier, émaillé de fraudes, marque un tournant. Et un sérieux avertissement pour Vladimir Poutine.

Le résultat des élections législatives du 4 décembre équivaut à un cinglant revers personnel pour Vladimir Poutine. Avec 49,5% des voix, son parti, Russie Unie, arrive certes en tête et conserve la majorité des sièges à la Douma (parlement). Mais il recule de 14 points par rapport au scrutin de 2007 où il avait obtenu 64% des suffrages.

Les trois autres partis progressent. Le Parti communiste se place en deuxième position avec 19% (contre 11,6% en 2007). Arrivent ensuite le Parti Libéral-démocrate (nationaliste) du leader populiste Vladimir Jirinovski avec 12% (contre 8,1% en 2007) et Russie Juste, avec 13% (7,7% précédemment). Aucun autre parti ne franchit le seuil des 7%, nécessaire pour être représenté à la Douma.

Au parlement, Russie Unie bénéficiera d’une légère majorité en sièges avec 238 élus sur 450. Les communistes en obtiennent 92 ; Russie Juste, 64 ; les nationalistes, 56.

Un russe sur quatre a voté pour le parti de Poutine
Quoi qu’il en soit, compte tenu du taux de participation de 51% (contre 64% en 2007), le résultat électoral signifie que seulement un Russe sur quatre a voté en faveur du parti du Vladimir Poutine.

A Saint-Pétersbourg, bastion du Premier ministre et de son entourage, Russie Unie n’obtient que 34% des suffrages. Dans la région d’Irkoutsk, où se situe le Lac Baïkal, les communistes arrivent en tête, tout comme dans l’enclave européenne de Kaliningrad (entre Pologne et Lituanie) où des manifestations de rue contre la vie chère avaient éclatées en 2010. En Tchétchénie (Caucase du Nord), Russie Unie obtient en revanche… 99% des voix.

Le score réel de Russie Unie est vraisemblablement encore plus mauvais. Selon l’organisation non gouvernementale Golos (La Voix), le scrutin a été émaillé d’un nombre considérable d’irrégularités et de tricheries. Présents dans tout le pays, ses observateurs ont recensé 5.300 cas de fraudes. Au cours de la journée de vote, de nombreux volontaires de l’ONG indépendante ont de surcroît été chassé manu militari des bureaux de votes, accusés par les autorités d’être des agents à la solde des Etats-Unis. « Si le scrutin avait été régulier, le score de Russie Unie aurait probablement tourné autour de 30% », a déclaré l’opposant et écrivain Edouard Limonov.

Dans la région industrielle de Sverdlovsk (Oural), qui est aussi la région natale de feu Boris Eltsine, la fraude est telle que l’addition des scores obtenus par les différents partis atteint 115%, dont 40% pour Russie Unie. Dans la région de Rostov (à 1.000 kilomètres au sud de Moscou), le total est de 140%, dont 59% pour Russie Unie.

Russie Unie perd progressivement le soutien des retraités
Au cours de la journée électorale, les sites Internet qui publiaient en direct « la carte des fraudes » ont pour la première fois été « hackés ». Ainsi, les pages web de la radio « Echos de Moscou », du magazine New Times, du quotidien Kommersant ou encore de l’ONG Golos étaient inaccessibles…

Les élections d’hier entérinent la baisse sensible de la popularité de Vladimir Poutine. Cette chute a d’abord été constatée dans les sondages ces derniers mois: en novembre, la popularité de Poutine était tombée à 61%, soit presque 10% de moins que le mois précédent. Puis est venu l’humiliation publique: Voilà deux semaines, lors d’un match de boxe, le Premier ministre russe, monté sur le ring pour féliciter les sportifs, avait dû s’exprimer sous les sifflets des 20.000 personnes du public. Du jamais vu.

« Le résultat d’hier était à prévoir, estime le politologue Dmitri Oreshkine. Depuis 2009, Russie Unie perd progressivement le soutien des retraités, qui peinent à survivre avec 200 euros par mois. Désillusionné, ce réservoir d’électeurs traditionnels voit ses conditions d’existence se détériorer et ne supporte plus le mensonges du pouvoir. » Oreshkine ajoute: « Le résultat électoral d’hier et la manière dont s’est déroulée le scrutin vont encore ternir la réputation du parti poutinien. »

La crainte d’une stagnation digne de l’époque de Brejnev
Selon le politologue Gleb Pavloski (un ancien conseiller du pouvoir récemment évincé pour avoir émis des critiques à l’égard de Poutine), la population russe a très mal digéré l’annonce du 24 septembre dernier. Ce jour-là, devant les 11.000 délégués du parti Russie Unie réunis en congrès, le président Dmitri Medvedev avait annoncé qu’il céderait sa place à Vladimir Poutine afin que ce dernier récupère en mars 2012 le fauteuil présidentiel qu’il avait dû céder en 2008 (la Consitution interdit trois mandats consécutifs).

Le retour devait être triomphal et Poutine s’attendait probablement à gagner 10 points de popularité dans les sondages. Il n’en a rien été. Pour beaucoup, le come-back de Poutine marque au contraire la fin de l’espoir du libéralisme, un temps incarné par l’actuel président Dmitri Medvedev. Et il se traduira par une stagnation comparable à celle connue à l’époque de l’inamovible Brejnev dans les années 1970.

S’il accomplit deux mandats de six ans consécutifs, Poutine pourrait en théorie régner jusqu’en 2024 -il aurait alors 71 ans. C’est ce scénario-là qui vient d’être remis en cause hier par les électeurs (et les abstentionnistes) russes.

Axel Gyldén et Alla Chevelkina

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