Arrestation de Juifs à Paris par des policiers français le 20 août 1941. © DR/Wikipedia

Le Vel d’Hiv, symbole de la déportation des Juifs sous l’Occupation en France

Le Vif

La rafle du Vel d’Hiv, le 16 juillet 1942, dont le 75e anniversaire est commémoré ce dimanche par le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, est devenue le symbole de la déportation des Juifs sous l’Occupation en France. La France de Vichy s’est rendue complice d’un génocide, affirme l’historien Serge Klarsfeld. Entretien.

Lors d’une cérémonie organisée à l’emplacement de l’ancien Vélodrome d’hiver à Paris, va être inauguré ce dimanche un jardin-mémorial « portant le nom des enfants qui ont été enfermés, déportés puis assassinés à Birkenau » après avoir été arrêtés par la police française au matin du 16 juillet 1942, a expliqué Serge Klarsfeld.

Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu vont assister à cette commémoration qui se déroule dans le cadre de la Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français du maréchal Pétain et d’hommage aux Justes de France.

« Si j’avais pu, j’aurais fait un monument plus grand, avec les adresses où ils ont vécu, car ce sont des enfants de Paris et Paris doit honorer leur mémoire, à l’emplacement même où ils ont tellement souffert », explique l’historien, 81 ans.

Serge Klarsfeld avait six ans quand son père, arrêté à Nice en 1943, a été déporté à Auschwitz. Il a voué sa vie à écrire l’histoire de la Shoah en France ainsi qu’à poursuivre en justice les criminels nazis, aux côtés de sa femme Beate.

Les 16 et 17 juillet 1942, 13.152 hommes et femmes, dont 4.115 enfants juifs, avaient été arrêtés sur ordre du gouvernement français par plusieurs milliers de policiers et gendarmes. Les familles avaient été emmenées au Vélodrome d’hiver, les couples sans enfants et les célibataires au camp de Drancy, près de Paris.

Cette rafle, la plus massive jamais organisée sur le territoire français, représente à elle seule près du tiers des 42.000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942 dans le cadre du vaste plan de déportation des juifs d’Europe défini par les Allemands à la conférence de Wannsee en janvier 1942.

‘Rempart’

Pour Serge Klarsfeld, la rafle du Vel d’Hiv est « le crime le plus retentissant depuis la Saint-Barthélemy », la nuit de massacres antiprotestants en 1572, et se compare par son ampleur aux « journées de la Commune » de Paris, l’insurrection de 1871, même si, dans ce cas, « les enfants n’étaient pas assassinés ».

« Là, c’est un assassinat qui n’a pas eu lieu en France mais le simple fait de livrer ces milliers d’enfants à l’occupant nazi, et de les livrer en les séparant ensuite de leurs parents et en les déportant isolément dans une affreuse détresse, c’est pour la France de Vichy une complicité de crime contre l’humanité et de génocide », poursuit-il.

« Application de la Solution finale en France », cette rafle, qui commence en juillet à Paris et sa banlieue et se poursuit sur l’ensemble du territoire, ne se terminera qu’en novembre 1942.

Des cérémonies se tiendront d’ailleurs en même temps dans de nombreuses villes françaises qui ont été le théâtre de ces arrestations.

« Les Allemands ont demandé dans un premier temps 40.000 juifs donc on leur fournit le contingent demandé. Vichy aurait pu leur en fournir 100.000 » mais en a été dissuadé par les protestations de la population et des Eglises, souligne M. Klarsfeld.

Pour l’historien, c’est une différence essentielle avec ce qui s’est passé aux Pays-Bas et en Belgique, où la population n’a pas joué ce rôle de « rempart ». Sans cette mobilisation et l’action des nombreux Justes, le bilan aurait été plus lourd, fait-il valoir.

Au total, 76.000 Juifs, dont 11.000 enfants, ont été déportés de France. Quelque 2.500 seulement ont survécu.

Concernant le discours historique du président Jacques Chirac, reconnaissant le 16 juillet 1995 la responsabilité de la France – à rebours de la thèse défendue par le général de Gaulle puis François Mitterrand selon laquelle la France légitime était à Londres – l’ancien avocat relève que cette reconnaissance n’a plus jamais été remise en cause, soulignant une « continuité » au niveau de l’Etat.

« En 2012, François Hollande a renforcé encore la déclaration de Jacques Chirac, en disant, comme Emmanuel Macron va le faire: ce crime a été commis en France par la France ».

Les faits

Le 16 juillet et les jours suivants, à la demande des Allemands, plus de 13.000 Juifs – dont 4.115 enfants – sont arrêtés à leur domicile à Paris et en banlieue, par 9.000 fonctionnaires français, dont environ 5.000 policiers sous les ordres de René Bousquet, chef de la police de Vichy.

Entassés dans des autobus, 8.160 personnes, y compris les vieillards et les malades, sont conduits au stade du Vélodrome d’Hiver, sur le quai de Grenelle (15e arrondissement de Paris).

Le 22 juillet, elles sont évacuées vers les camps de Drancy (Seine Saint-Denis, banlieue nord), Pithiviers et de Beaune-la-Rolande (Loiret, à une centaine de km au sud de Paris) puis envoyées en camps d’extermination. Quelques dizaines d’adultes seulement survivront.

L’armistice signé en 1940 obligeait la police française à exécuter les ordonnances de la puissance occupante. La police du gouvernement de Vichy devient ainsi un bras armé des Allemands. Lors de la rafle, le nombre des personnes arrêtées a été bien inférieur aux attentes des Allemands. Des fuites dans la police ont permis à beaucoup d’y échapper.

Cette rafle représente toutefois à elle seule plus du quart des 42.000 Juifs envoyés de France à Auschwitz en 1942, dont seuls 811 reviendront chez eux après la fin de la guerre.

La responsabilité de l’Etat en débat

De Gaulle, à la Libération puis lors de son retour au pouvoir de 1958 à 1969, et ses successeurs à l’Élysée, jusqu’au socialiste François Mitterrand, se refusent à reconnaître la responsabilité de la France dans la déportation des juifs.

Pour eux, il n’y eut, durant l’Occupation allemande, qu’une seule France légitime, celle de la France libre représentée par de Gaulle, en exil à Londres.

Mais les travaux des historiens, la parole libérée des survivants et les procès d’Adolf Eichmann en Israël, de Klaus Barbie, Paul Touvier et Maurice Papon en France, contribuent à faire progressivement évoluer l’attitude des autorités françaises.

Le président François Mitterrand instaure en 1993 une « journée nationale commémorative des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite + gouvernement de l’État français + (1940-1944) ». Cette commémoration est fixée à la date anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv.

Puis, pour la première fois au plus haut sommet de l’État, un président, Jacques Chirac, reconnaît la responsabilité de la France dans les déportations de Juifs. « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français », dit-il le 16 juillet 1995.

En juillet 2012, le président François Hollande va plus loin dans la repentance : « la vérité, c’est que ce crime fut commis en France, par la France ». Il soulève la critique de responsables de droite (Henri Guaino) comme de gauche (Jean-Pierre Chevènement). Au Front national, on appelle à « cesser de culpabiliser les Français ».

En avril 2017, en pleine campagne électorale pour la présidentielle, Marine Le Pen, la candidate FN à l’élection, redit que « la France n’est pas responsable du Vel d’Hiv ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire