Carte blanche

Le syndrome de Nice: une forme inquiétante de terrorisme inédite en France

Peut-être que plus rien ne sera jamais comme avant en France depuis l’attentat de Nice : jamais un acte terroriste non conventionnel n’a provoqué autant de morts dans le pays.

Peut-être que plus rien ne sera jamais comme avant en France depuis l’attentat de Nice : jamais un acte terroriste non conventionnel n’a provoqué autant de morts dans le pays. Nous assistons en effet depuis quelques mois à un changement de paradigmes complets en matière de menace et de sécurité du territoire. Le carnage qui a eu lieu le 14 juillet dernier à Nice, est une nouvelle étape dans l’enchaînement sans fin de la violence de quelques illuminés agissant au nom de l’islam et bien déterminés à détruire l’Occident. Le camion fou, conduit par un franco-tunisien de 31 ans, Mohamed Lahouaiej Bouhiel, manifestement connu de la police pour actes de violence, marquera l’histoire du pays, pour être le premier acte terroriste commis dans l’hexagone avec un véhicule devenu une pure arme par destination. Et une revendication très tardive d’ISIS.

Nice, pas frappée par hasard

Voitures piégées, attaques au bulldozer, sont déjà des méthodes largement utilisées au Moyen-Orient et la violence commise par Daesh sur le vieux continent est en train de prendre une autre dimension. Il ne sert à rien de gloser sur l’affaiblissement local de l’organisation terroriste dans la région moyen-orientale, si l’action individuelle et indépendant de quelques individus suffit à déstabiliser un pays tout entier. S’il suffit désormais de prendre un simple semi-remorque blanc de 4 tonnes pour semer la terreur. Si des hommes sont désormais capables dans leur folie de passer à de tels actes sans complexe. Les Etats, les armées conventionnelles, les services de renseignement ne sont décidément plus à mêmes de répondre à de telles menaces face à de tels individualismes nihilistes pour protéger leurs populations.

Nice n’a peut-être pas été frappée par hasard : au-delà du symbole, le département des Alpes-Maritimes est le département qui est le plus radicalisé en matière de jeunes, avec la Seine St Denis.

La promenade des Anglais à Nice, est le symbole touristique de la riviera et de la Côte d’Azur. Région ensoleillée, attirant les étrangers du monde entier qui achètent beaucoup dans la région, elle est une vitrine de la France, première destination touristique au monde. Comment expliquer que près de 90 personnes aient trouvé la mort en ce jour symbolique du 14 juillet alors que le pays célébrait la fête nationale ? Comment expliquer Nice ? Le président de la République vient de décréter 3 jours de deuil national, et l’état d’urgence est donc prolongé jusque fin octobre. La presse anglosaxonne parle déjà de « Bastille day ». Il faut savoir que Nice n’a peut-être pas été frappée par hasard : au-delà du symbole, le département des Alpes-Maritimes est le département qui est le plus radicalisé en matière de jeunes, avec la Seine St Denis. On ne le soupçonne pas, mais l’actualité récente a fait ressurgir les vieux démons : Omar Omsen, recruteur d’origine sénégalaise et niçois, sème la terreur en Syrie et était apparu récemment dans une vidéo mise en scène de l’Etat islamique.

Ayant bien pris conscience de la gravité des faits, avec près de 100 départs de jeunes Niçois vers la Syrie depuis 2011, les autorités des Alpes-Maritimes ont été les premiers à lancer un grand plan de déradicalisation et de formation du personnel administratif et préfectoral pour protéger la jeunesse de ces recruteurs fous. L’association niçoise Unismed, dirigée par le psychanalyste Alain Ruffion, enchaîne les séminaires de formation pour la préfecture et les familles. C’est une étape indispensable pour mieux connaître l’islam, ses déviances, l’Etat islamique et les processus d’aliénation et d’endoctrinement de jeunes. Mais rien n’y fait à l’heure actuelle et le politique semble plus qu’impuissant : que faire en effet contre de tels actes isolés comme celui qui a eu lieu le 14 juillet dernier sur la « Prom' » ? Le chauffeur du camion de 19 tonnes avait 31 ans : plus tellement jeune ! En avril 2015, Eric Ciotti, actuel maire de Nice, avait annoncé le signalement de près de 120 jeunes en moins d’un an même si la coopération entre l’Etat et la préfecture est active depuis près de deux ans. 120 rien qu’à Nice, ce qui en faisait la plus forte progression de tout le pays : on a bien l’impression que rien ne peut prévenir ce terrorisme d’une forme nouvelle.

La confusion entre terrorisme et acte individuel délibéré

Revendiqué le 16 juillet, il n’en demeure pas moins qu’avant cette date, on soupçonnait fort que cet attentat se rapprochait de la façon habituelle de procéder de Daech. A l’heure du foisonnement des initiatives individuelles, il existe également une rude concurrence entre les différents groupuscules terroristes pour revendiquer les attaques nauséabondes de ce type. Al-Qaïda en fait la promotion dans son magasine Inspire et Daech en fait la promotion dans ses rangs en allant même jusqu’à proposer de prendre un véhicule afin d’écraser les Français. Mais il peut également s’agit du profil de l’homme qui souhaite s’engager dans un cause sans savoir quel est l’intérêt fondamental derrière. Ce type de profil est en pleine prolifération.

La finalité terroriste a pour but de déconstruire tout ce que la population civile a pu établir jusqu’à présent : l’amitié, la rencontre, le dialogue ou encore une société civile unie.

Daech appuie énormément ses positions sur les débats récurrents qui viennent alimenter le clivage au sein de la société française. Souvent, les débats impliquent l’islam. Lorsqu’on voit que le Maire de Nice est connu pour ses positions d’une laïcité de rigueur, Daech, ou tout autre groupe qui se revendique comme islamique, ne pourra que conforter son assise sur ce clivage. En effet, la finalité terroriste ne s’accomplit pas simplement par l’attaque qu’elle suscite. Bien au-delà de cela, la finalité a pour but de déconstruire tout ce que la population civile a pu établir jusqu’à présent : l’amitié, la rencontre, le dialogue ou encore une société civile unie.

Il va de soi également que certaines initiatives ne sont pas directement les émanations de Daech mais dont ce groupe aura tout intérêt à se prévaloir afin de maintenir une terreur en terre occidentale et perpétuer sa politique de déstabilisation interne de l’Occident. A tel point que l’on puisse s’interroger sur de potentielles revendications opportunistes d’ISIS, une fois que l’on est sûr qu’il n’y ait eu ni complices ni personnes susceptibles de révéler la vérité. La réponse de François Hollande visant à intensifier les frappes en Syrie et en Iraq est évidemment trop précipitée. L’identification va nous permettre de comprendre qu’il s’agissait d’une personne au profil psychologique fragile, inconnu des services de police, voir détraqué.

Nos pensées vont évidemment aux familles des victimes aujourd’hui. Plus que jamais, nous devons lutter contre ce phénomène terroriste en pleine mutation. Mais n’oublions pas que si phénomène terroriste évolue, nous devons également évoluer dans notre approche et notre contrattaque à celui-ci.

Par Sébastien Boussois, chercheur Moyen-Orient, associé à l’ULB et Asif Arif, avocat au barreau de Paris spécialiste de l’islam et de la laïcité. Livre à paraître : « France-Belgique, la diagonale terroriste du flou » (octobre 2016, La Boite à Pandore Jourdan éditions)

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