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« Le score réalisé par l’AfD n’est pas très important »

Maxime Defays Journaliste

Le parti de droite nationaliste allemand AfD a récolté environ 13% des voix lors des dernières législatives. Mais pour Steven Van Hauwaert, chercheur à l’Université de Mayence et spécialiste de l’extrême droite, le score se doit d’être relativisé. Explications.

En quoi le score réalisé par l’AfD en Allemagne est-il si retentissant ?

Je ne pense pas que ce soit un score très important. Quand on regarde du point de vue de l’Allemagne, il peut être considéré comme retentissant, mais si on établit une comparaison avec les scores des partis de droite radicale dans les autres pays d’Europe occidentale, il reste dans la logique des phénomènes constatés dans ces autres pays. Ici, le résultat est amplifié et surtout grossi médiatiquement, mais je pense que la réalité est bien moindre. Ce n’est pas la première fois, même en Allemagne, que des partis à la droite du CDU réalisent des bonnes performances. C’est plutôt quelque chose qui « vend bien ». Je ne pense pas que ce score soit quelque chose de spécial ou de plus inquiétant.

Quand on regarde les partis de droite populiste, par exemple en France ou aux Pays-Bas, ils font partie de la politique « normale ». En réalité, si on essaie de mesurer réellement le poids politique de ces partis, il n’y a pas grand-chose à en dire. Même le Front national, qui fait figure d’ « exemple parfait » des extrêmes droites en Europe ne représente pas aujourd’hui un poids important dans la sphère politique du pays, avec très peu de députés élus au Parlement. Le phénomène est le même en Belgique ou aux Pays-Bas. Je pense qu’aucun de ces partis n’a d’influence politique structurelle, et ce, dans n’importe quel pays de l’Europe de l’Ouest. Si on regarde le score des deux grands partis traditionnels allemands (CDU-CSU et SPD), ils dépassent tout de même les 50%. De quoi relativiser le score de l’AfD. Certains ont dit que c’était la fin de la démocratie en Allemagne ou que celle-ci était en danger. C’est peut-être un peu exagéré, en regard des scores réalisés par les partis de droite populiste en Europe de l’Ouest et au score des partis traditionnels allemands.

Quel peut être l’impact d’une percée d’un tel parti surtout en regard du passé douloureux de l’Allemagne ?

Il est vrai que le score réalisé par l’AfD dans ces élections peut faire resurgir des mauvais souvenirs aux Allemands. Il y a certainement un sentiment de « peur » dû au passé qu’a connu le pays. On peut le comparer avec la France. Dans le début des années 1980, il y avait beaucoup de fascistes au sein de FN. Il se passe le même phénomène aujourd’hui en Allemagne, mais simplement 30 ans après. Je pense que c’est un phénomène qui reste très nouveau pour l’Allemagne, du moins avec ce genre de score, et c’est normal que certaines personnes développent un sentiment de peur, en regard de leur histoire. Mais pour moi, ces inquiétudes vont être de courte durée. Dans deux voire trois semaines, on sera passé à autre chose. Ensuite, dans la plupart des pays de l’Europe de l’Ouest, ces partis restent tout de même démocratiques et font partie du jeu politique. Pour l’instant, la réaction du peuple allemand est tout à fait normale, et celles-ci seront peut-être plus « extrêmes » qu’ailleurs, encore une fois, en regard de leur passé.

Quel rôle peut jouer le parti de droite nationaliste, qui sera plus que certainement repoussé dans l’opposition ?

Pour l’instant, c’est encore très difficile à dire. On ne sait pas très bien dans quelle direction le parti va se diriger. Laquelle des deux factions internes au parti va prendre réellement le leadership ? C’est encore flou. Ils vont, soit constituer une opposition très dure, notamment dans les mots, comme ont pu le faire Jean-Marie Le Pen en France ou Filip Dewinter chez nous. Soit, comme en Scandinavie, ils vont s’incorporer de manière plus « normale » dans le jeu politique. Le fait qu’il y ait aussi bon nombre de dissensions en interne rend encore moins claire la stratégie qu’ils vont vouloir adopter. Mme Petry a refusé de siéger avec le groupe parlementaire au Bundestag, et son choix de rester dans le parti ou de le quitter va être très important, surtout dans le fonctionnement même du parti au Bundestag.

Le score de l’AfD tient-il d’un sentiment de défiance globale des élites traditionnelles ? À quoi est due sa percée spectaculaire ? Sa montée est-elle similaire à celles du FPÖ, du FN ou encore du PVV ? Est-ce différent ?

Il y a bien sûr des causes similaires et des thèmes communs, notamment les discours anti-immigration, anti-européen ou anti-euro. De ce que je vois, j’ai le sentiment qu’il y a un rejet de la classe politique et des partis traditionnels, incarnés par Angela Merkel. De plus en plus de gens étaient de moins en moins en phase et en accord avec la politique prônée par la chancelière allemande, et ça a donc forcément renforcé un parti comme l’AfD. Par exemple, de nombreux travailleurs n’étaient pas contents de la manière dont ils étaient représentés par le SPD et Martin Schulz, et ont été plus séduits par un discours anti-élites prôné par l’AfD. Depuis la 2e guerre mondiale, l’Allemagne a toujours été dirigé par deux grands partis. La longévité et l’essoufflement de ceux-ci, conjugués à la crise économique, financière et migratoire, ont forcément donné de l’eau au moulin des partis populistes comme l’AfD. Il y a un sentiment structurel d’insatisfaction envers les élites, qui a été exacerbé ces dernières années par le contexte économique et migratoire.

Angela Merkel doit-t-elle s’inquiéter de la percée de l’AfD et va-t-elle « aller sur ses plates-bandes » en calquant une partie de sa politique sur leur discours ?

Je pense qu’Angela Merkel ne doit pas en avoir peur. Il ne se passera vraisemblablement rien, tout comme on le voit dans les autres pays d’Europe où un parti de droite radicale a percé. On n’a pas assisté à la troisième guerre mondiale, aucun pays n’est devenu une autocratie… Elle n’a donc rien à craindre, surtout parce que c’est une politicienne intelligente. Elle sait très bien ce qu’elle doit faire.

En termes de position à adopter, elle a de toute manière deux choix : soit elle reste sur les mêmes positions, sans s’inquiéter du score de l’AfD, en assurant la continuité de la politique menée depuis 15 ans, soit, elle s’inquiète tout de même un peu, car le CDU se « modère » et laisse un espace à sa droite. Elle peut donc faire la même chose que Nicolas Sarkozy en 2007, c’est-à-dire aller « draguer » les électeurs situés plus à droite de son électorat habituel, pour tenter d’attirer les électeurs les plus modérés des partis de droite radicale.

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