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Le Royaume-Uni, arrière-cour des luttes de pouvoir moscovites

Le Vif

Depuis les années 90, le Royaume-Uni est devenu un refuge et un terrain d’affrontement pour oligarques russes en exil. Après la mort encore trouble de Berezovski, la presse britannique s’interroge sur une spécificité parfois bien encombrante…

Un parfum de guerre froide plane sur la Tamise, au surlendemain du décès de Boris Berezovski. Rien ne prouve que l’oligarque russe en disgrâce, exilé depuis 2000, ait été tué. Mais sa mort rappelle d’autres assassinats d’opposants outre-Manche ces dernières années, ravivant l’hypothèse d’un règlement de compte à la mode moscovite.

« La guerre froide a beau s’être éteinte, les empoisonnements, fusillades et tentatives de meurtre de Russes vivant au Royaume-Uni ne se sont pas arrêtés », rappelle The Telegraph. Le quotidien liste les crimes que les autorités russes sont soupçonnées d’avoir commis outre-Manche depuis 1978, année de l’épique meurtre au parapluie empoisonné contre un dissident bulgare.

Trois opposants russes sont notamment morts en Angleterre en sept ans: Alexandre Litvinenko, empoisonné au polonium 201, Arkadi Patarkatsishvili, décédé d’une crise cardiaque, et Alexandre Perepilichni, mystérieusement terrassé par un infarctus après avoir transmis à des enquêteurs suisses des documents sur des officiels corrompus. Le banquier German Gorbuntsov a lui survécu de peu à une fusillade l’an dernier.

« Londongrad », un refuge pour leur fortune… et leur vie

L’oligarque mort dimanche complétera-t-il la liste noire? « Boris Berezovski, et les dangers d’être un Russe exilé au Royaume-Uni », titre déjà le quotidien britannique The Guardian, qui consacre un article au « Londongrad », surnom de la communauté des Russes fortunés dans le pays. Depuis les années 1990 pourtant, nombre d’oligarques -menacés ou non- ont vu dans les îles britanniques un pays capable de les mettre à l’abri du danger, eux et leur fortune.

Grâce au faible impôt sur les sociétés et aux relais politiques que les millionnaires russes ont su s’assurer, le climat y est favorable aux affaires. Certains ont investi dans le football -Roman Abramovich à Chelsea, Alisher Usmanov, actionnaire d’Arsenal…- ou dans les médias, comme Alexandre Lebedev, ancien du KGB qui possède le Evening Standard et The Independent.

« Les conseillers financiers s’assurent que les oligarques payent aussi peu d’impôts que possible sur les revenus, l’épargne, et même les taxes locales. Les écoles privées accueillent leurs enfants, et leurs carnets de chèques », détaille le Guardian.
Le quotidien décrit aussi « l’économie parallèle de boutiques de design, de jets privés, de hors-bords et de gardes du corps, qui existe pour eux ». Tout comme le marché de l’immobilier de luxe sur lequel ils règnent en maître, des quartiers chics de Londres aux comtés du sud de l’Angleterre.

Les riches russes profitent aussi du système judiciaire britannique: il protège les opposants des extraditions et tranche souvent les litiges entre millionnaires. Ainsi du « procès du siècle », en 2011, qui opposa Boris Berezovski à son ancien protégé Roman Abramovich, resté proche du président russe Vladimir Poutine. Ou plus récemment entre les ex-associés rois de l’aluminium, Mikhaïl Tchernoï et Oleg Deripaska.

La diplomatie en pâtit

Toutes ces activités ne sont pas sans conséquence sur les relations russo-britanniques, qui fluctuent au gré des déboires des uns et des autres. The Independent rappelle que de son vivant, Berezovski avait déjà contribué à empoisonner la diplomatie entre les deux pays: une interview dans laquelle il appelait à un coup d’Etat contre Vladimir Poutine lui avait valu un avertissement du ministre des Affaires étrangères d’alors, Jack Straw, sur son droit d’asile obtenu en 2003.

En 2007, l’affaire Litvinenko -pour laquelle le Royaume-Uni réclame l’extradition d’Andrei Lugovoi, ex-officier du KGB devenu député- avait aussi considérablement tendu les relations. Puis elles se sont à nouveau réchauffées, au point que « certains problèmes, comme la résurgence de l’espionnage russe au Royaume-Uni (…), sont passés sous silence », regrette l’éditorialiste du Guardian John Kampfer.
Récemment, un ex-chef du KGB à Londres assurait pourtant « que la Russie avait aujourd’hui plus d’espions au Royaume-Uni que pendant la guerre froide », note dans The Telegraph l’historien Tim Stanley. « La différence, conclut-il, c’est qu’ils sont moins là pour se mêler de nos affaires que pour surveiller les dissidents, qui ont fait du Royaume-Uni leur maison. »

Par Alexia Eychenne

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