Didier Leroy, chercheur à l'ULB et membre de l'Ecole Royale Militaire de Belgique © Jean-Marc Quinet/Reporters

« Le repli territorial de Daech ne signifie pas nécessairement une perte d’influence idéologique »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Pour Didier Leroy, chercheur à l’Ecole royale militaire et à l’ULB, Daech, même s’il a perdu des territoires, a pu consolider son emprise sur des populations animées par une haine croissante des ennemis qui les bombardent.

Les développements de la situation militaire en Syrie et en Irak constituent-ils un tournant ?

Oui. Avec l’intervention russe, le régime de Damas a retrouvé un troisième souffle, le deuxième ayant été fourni par le Hezbollah libanais. Depuis, l’Etat islamique a été soumis à davantage de résistance dans sa conquête initialement fulgurante. La récente opération de la Turquie en territoire syrien est le début d’un nouveau chapitre, même s’il est plus dommageable aux Kurdes qu’à Daech. L’Etat islamique est donc de plus en plus étouffé économiquement, de plus en plus pilonné militairement sans capacité, dans son arsenal, de riposter. Mais un repli territorial ne signifie pas nécessairement une perte d’influence en termes de phénomène idéologique, surtout au sein des populations locales, arabes sunnites. Car les campagnes aériennes qui ont frappé ces régions ont probablement alimenté un sentiment de haine à l’encontre des Occidentaux, des Etats du Golfe, de la Russie… Oui, Daech a perdu du territoire. Mais sans doute a-t-il consolidé son emprise sur les zones qu’il contrôle toujours.

Avec l’offensive turque et la réconciliation entre Ankara et Moscou, les Kurdes sont-ils les grands perdants des derniers développements du conflit ?

Les Kurdes sont certes confrontés à un obstacle de taille. Mais depuis le début de la crise syrienne, ils peuvent malgré tout tirer un bilan positif. Ils ont réussi à s’étendre géographiquement et ont présenté une image très positive auprès de la communauté internationale. Pour le public occidental, les Kurdes, ce sont  » les bons « . Ils ont donc le vent en poupe pour promouvoir in fine leur projet d’Etat kurde transfrontalier. La Turquie d’Erdogan, certainement depuis le coup d’Etat manqué de cet été, a sorti ses griffes. Sa priorité régionale est d’empêcher à tout prix le PYD, le parti des Kurdes de Syrie, de créer une zone à la frontière turco-syrienne exclusivement contrôlée par ses forces.

Les derniers faits d’armes en Irak ont mis en exergue le danger que les milices chiites font courir à la cohabitation avec les populations sunnites. Que fait le gouvernement irakien pour le prévenir ?

Le gouvernement est conscient qu’il y va du salut de la nation irakienne. Le problème est que, comme la dislocation de ce lien entre sunnites et chiites s’est produite sur près d’une décennie, lors des deux mandats de Nouri al-Maliki, Premier ministre chiite et promoteur d’une politique très pro-chiite dans un pays pourtant multiconfessionnel, il faudra beaucoup de temps pour rétablir une relation de confiance. Tout dépendra de ce que sera l’alternative à Daech en termes de gouvernance. Si les villes reprises par l’armée sont à nouveau délaissées en matière de services de base et de biens de première nécessité, Daech pourra y reprendre pied. Gagner des km2 de territoire, c’est une chose. Gagner les coeurs en est une autre. Pour cela, il faut une initiative à plus long terme, qui prenne aussi en compte le maillage tribal de la région.

Une défaite militaire de Daech accroîtrait-elle le risque d’attentats par des djihadistes européens returnees ?

L’équation  » Plus Daech subit des coups en Syrie et en Irak, plus les attaques vont se multiplier à l’étranger  » est une hypothèse de travail. Mais je ne vois pas très bien comment elle pourrait être validée scientifiquement. Je ne suis pas du tout convaincu de sa pertinence.

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