Gérald Papy

Le renouveau à l’épreuve du cynisme

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

A quelle part de hasard et de mystère peut bien tenir la destinée d’un homme d’Etat ? C’est ce que l’on se disait le dimanche 14 mai en entendant le président du Conseil constitutionnel français Laurent Fabius proclamer Emmanuel Macron président.

Le premier fut, à 37 ans, le plus jeune Premier ministre de la Ve république. Promis à la plus haute fonction, il vit sa carrière se fracasser sur l’affaire du sang contaminé, emblématique du début des  » années sida « . En brûlant toutes les étapes, le second a réduit le risque d’embûches et est devenu, à 39 ans, le plus jeune président de la France. Pourquoi l’alchimie fonctionne-t-elle ici et pas là ? Sans doute parce que, comme le rappelait Fabius citant Chateaubriand,  » pour être l’homme de son pays, il faut être l’homme de son temps « .

Embrasser l’air du temps de la révolution collaborative et être élu sur une promesse de renouveau ne garantit pas que le renouvellement soit effectivement en marche. Les signes distillés par le nouveau président français depuis son élection ont navigué entre modernité (la réunion de personnalités de la droite et de la gauche au sein du gouvernement, le grand nombre de candidats aux législatives issus de la société civile…) et tradition (le décorum monarchique de l’investiture, le soutien démonstratif aux forces armées, la référence à François Mitterrand au Louvre…). Le poids des rituels est d’autant plus fort dans les pays marqués par une grande histoire et une visée universaliste. Le président français sera-t-il entravé dans sa volonté de rénovation par le prestige et la lourdeur des institutions ?

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Avant même d’avoir mis en oeuvre son programme de réformes, Emmanuel Macron, par sa seule élection, fait en tout cas déjà souffler le vent du changement parmi la classe politique. Les états-majors des partis accélèrent un rajeunissement express de leurs cadres dirigeants. Car ils n’imaginent plus pouvoir opposer à celui qui n’aura que 44 ans lors de la présidentielle de 2022 un septuagénaire avec quatre décennies de pratiques politiciennes derrière lui. L’idée de l’émergence d’une nouvelle génération de responsables politiques s’impose, consciemment ou inconsciemment. Des élus à l’expérience éprouvée renoncent à se présenter aux législatives de juin. Certains osent même un examen de conscience sur leurs échecs.  » Les Français appellent à un profond renouvellement de la vie politique, à un dépassement des partis. Je n’ai pas réussi à donner une meilleure image du Parti socialiste à Marseille « , justifiait par exemple Marie-Arlette Carlotti, une ancienne ministre déléguée à la lutte contre l’exclusion.

Le renouveau véritable et profond ne pourra se jauger qu’à moyen terme, à l’aune des mesures qu’Emmanuel Macron fera adopter pour transformer la France et bousculer ses pesanteurs. On saura alors si le président a réussi à démentir les propos du héros que le nouveau Premier ministre Edouard Philippe et son ami Gilles Boyer, directeur de campagne de la primaire d’Alain Juppé, avaient imaginé pour leur thriller politique Dans l’ombre (JC Lattès, 2011/Le Livre de Poche, 2012), une plongée passionnante et très réaliste dans une course à la présidence pleine de violences et de coups tordus.  » Quand j’entends un élu me dire qu’il veut faire de la politique autrement, je pense la même chose que quand j’entends le patron d’un hypermarché me dire que son objectif, c’est de donner du pouvoir d’achat au consommateur. Je pense qu’on se fout de ma gueule.  » Macron, Philippe, tous deux si férus de littérature, peuvent-ils être foncièrement cyniques et mauvais ?

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