Christian Makarian

« Le régime nord-coréen impose son rythme à Washington et à Pékin »

Pour peu qu’on se remémore le choc frontal dont il est issu, le bras de fer apocalyptique qui oppose la Corée du Nord aux Etats-Unis s’inscrit dans une conflictualité très profonde, qui explique son caractère aujourd’hui inextricable.

Le 25 juin 1950, vers 4 heures du matin, des troupes d’assaut nord-coréennes galvanisées franchissent le 38e parallèle nord, qui séparait les deux Corées depuis le partage de la péninsule entre l’armée américaine, au sud, et les forces soviétiques, au nord. Trois jours plus tard, Séoul est pris. En quelques jours, profitant de la politique de la chaise vide pratiquée par l’URSS à l’ONU pour protester contre le refus d’admettre la Chine communiste au Conseil de sécurité, Washington obtient la création d’une force onusienne. Le général MacArthur est nommé à la tête d’un corps expéditionnaire et lance une contre-offensive éclair, le 15 septembre, reprenant Séoul dès le 2 octobre.

En un mois, il gagne la frontière de la Chine. Laquelle réplique en engageant des centaines de milliers de  » volontaires  » à l’appui des Nord-Coréens. Ce retour de bâton permet à ces derniers et aux Chinois de reprendre Séoul, en janvier 1951, avant de la reperdre, en avril. C’est dans cet intervalle périlleux que MacArthur émet l’idée fatale : il suffirait, exprime-t-il, de lancer des bombes atomiques sur la Mandchourie, base arrière des Nord-Coréens en territoire chinois, pour qu’il en soit fini du régime de Pyongyang. Une très mauvaise idée, qui va libérer les démons… Le président Harry Truman limoge aussi sec le radical général. Trois ans de guerre, trois millions de morts et aucun traité de paix.

Le régime nord-coréen impose son rythme à Washington et à Pékin

En 2017, on retrouve, dans des rôles à peine récrits, les mêmes nations protagonistes… et l’ONU. Avec tout un cortège d’ambiguïtés entre supergrands. Kim Jong-un cherche fondamentalement à obtenir un dialogue d’égal à égal avec les Etats-Unis et affiche quatre revendications : reconnaissance diplomatique de la  » République  » de Corée du Nord par les Etats-Unis, traité de paix portant sur l’ensemble de la péninsule, signature d’un pacte de non-agression entre Washington et Pyongyang, poursuite du programme nucléaire – qui a pour but principal de rendre le régime intouchable. Face à cela, la ligne américaine a jusqu’ici consisté à soutenir l’inverse : que Pyongyang cesse ses menées nucléaires avant tout dialogue.

Sauf que la Corée du Nord a désormais accédé au statut de puissance nucléaire et que cela constitue un point de doctrine  » vendu  » au peuple au nom de l’indépendance nationale. Il faut donc un nouveau dialogue, qui prenne en compte cette sinistre réalité, ce à quoi Donald Trump (pas plus que Barack Obama avant lui) ne peut se résoudre pour l’heure juste parce que Kim Jong-un en a décidé ainsi… Trump a donc imaginé qu’il fallait faire pression sur la Chine, laquelle est enfermée dans une stratégie schizophrénique. Fondamentalement, Pékin ne peut pas admettre que la Corée soit un jour réunifiée, ce qui se ferait assurément au profit du régime capitaliste de Séoul ; les 30 000 militaires américains présents en Corée du Sud camperaient aussitôt aux frontières de la Chine… Pour autant, la première puissance exportatrice mondiale, très embarrassée d’apparaître comme le soutien indéfectible d’un Etat qui menace la paix du monde, condamne Pyongyang et vote à l’ONU en faveur de sanctions économiques : de toute évidence, les Américains peuvent difficilement exiger davantage d’elle.

Une vérité cruelle émerge : en usant de la menace nucléaire, Pyongyang a réussi à devenir un épicentre mondial, à attirer Washington dans son jeu et à dicter son rythme à Pékin. Tant d’habileté de la part d’un régime délirant, c’est bien cela qui fait le plus peur.

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