Raoul Hedebouw
Raoul Hedebouw. © Belga

« Le programme du PTB n’a rien de révolutionnaire »

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Dans un ouvrage consacré aux « gauches radicales », le politologue Pascal Delwit (ULB) analyse l’évolution des partis européens à la gauche de la social-démocratie.

Le Vif/L’Express: Vous parlez de gauche radicale, et non d’extrême gauche. Pourquoi ?

Pascal Delwit: Les gauches radicales, c’est le terme qui constitue le plus petit commun dénominateur pour appréhender des réalités historiquement différentes à gauche, qui ont évolué dans le temps et sont encore très diverses aujourd’hui. Aujourd’hui, l’extrême gauche historique existe encore, mais c’est un mouvement relativement limité. Dans l’histoire de la gauche, l’extrême gauche fait surtout référence aux courants les plus hostiles au parlementarisme et à l’action institutionnelle. Ce sont des courants que Lénine avait lui-même qualifiés de gauchistes.

Pascal Delwit :
Pascal Delwit :  » Je suis de ceux qui considèrent que la dynamique et le nouveau statut électoral et politique du PTB l’ont changé. Mais jusqu’à quel point ? »© HATIM KAGHAT/ID PHOTO AGENCY

Dans un deuxième temps, l’extrême gauche a surtout référé aux dissidences du mouvement communiste: le trotskysme dès les années 1930 et le maoïsme dans les années 1960, au moment de la rupture entre le Chine et l’Union soviétique. Donc, en vertu de ces deux références historiques, ce qu’on étudie quand on se penche sur ce qui se trouve à la gauche de la social-démocratie, ce n’est pas essentiellement de l’extrême gauche mais ce sont des choses différentes, qui, dans une large mesure, n’ont qu’un rapport distant au mouvement communiste au XXe siècle.

La gauche radicale ne présente donc pas qu’un seul et même profil ?

Non. Certains partis gardent des relations idéologiques, rhétoriques, émotionnelles et programmatiques avec le mouvement communiste ou ses dissidences et affirment toujours la révolution socialiste comme objectif, dans une rhétorique très proche du mouvement communiste. C’est ce qu’on retrouve le plus au sein des partis communistes grec et portugais. C’est dans une certaine mesure le cas du PTB en Belgique qui ne vient pas du mouvement communiste mais d’une contestation maoïste du mouvement communiste.

Puis vous avez des partis issus du parti communistec mais qui aujourd’hui n’ont plus du tout ce rapport au mouvement communiste du XXe siècle mais sont plutôt des partis aiguillons de la social-démocratie. Ils portent de nouvelles thématiques comme l’égalité hommes-femmes ou l’environnement. C’est le cas en Suède ou en Finlande, avec le Parti de gauche et l’Alliance de gauche. Certaines de ces formations trouvent qu’il est inapproprié de les qualifier de « gauche radicale ». Elles espèrent exercer le puovoir ou l’exercent, comme l’Alliance de gauche en Finlande. Et s’inscrivent sans ambiguïté dans le cadre de la démocratie représentative. Ce sont de « gentils » partis de gauche, à la gauche de la sociale démocratie.

Enfin, d’autres sensibilités essaient de se profiler comme des partis modernes, même des partis communistes. En France, par exemple, le PC n’a plus de référence à l’Union soviétique, et pas vraiment de référence au mouvement communiste. En interne, il semble difficile à ces structures de changer de nom mais c’est un nom symbole qu’on conserve pour éviter des problèmes. Dans les faits, on est loin de l’idée d’une révolution socialiste avec un soutien inconditionnel à l’Union soviétique.

Comment classez-vous le parti grec Syriza ?

Beaucoup imaginent que c’est neuf. En réalité, c’est plus nuancé. Ce parti est dans une large mesure l’émanation du deuxième PC grec, eurocommuniste, européiste, et ne prenant pas l’Union soviétique comme modèle. C’est de là qu’est venue la Coalition de la gauche et du progrès qui a donné naissance à Syriza. Syriza incarne un socialisme aux couleurs de l’Europe, fondé sur valeurs de la démocratie représentative et sociale, sans passer par une révolution socialiste pour y arriver. En 2009, Syriza était à 5 % des voix. Quelques années plus tard, à 35 %. Il tente de construire autre chose que la social-démocratie, mais dans le cadre d’une démocratie représentative. Cela peut passer par des alliances, puisque Syrisa s’est allié au Parti des Grecs indépendants, de la droite nationaliste. C’est la preuve qu’il faut mettre un « s » à gauches radicales puisque le pire ennemi de Syriza, c’est le PC grec, dont la direction a catégoriquement refusé de rencontrer Alexis Tsipras aux élections de 2012 et de 2015 pour tenter de former un gouvernement. On assiste au même type de situation au Portugal, où l’on trouve d’un côté un PC orthodoxe et de l’autre, le Bloc de gauche. Les relations entre eux sont très tumultueuses.

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Qualifieriez-vous le PTB de parti d’extrême gauche, selon votre définition ?

C’est un cas compliqué. Il n’arrête pas de dire qu’il n’est pas d’extrême gauche, systématiquement. Pour ses membres, il y a une dimension politique et symbolique à ne pas être qualifié de la sorte. Elle s’inscrit dans leur logique communicationnelle nouvelle, fixée sur des choses du quotidien et pas sur un projet qui n’est pas expliqué publiquement. Historiquement, ce parti appartenait à l’extrême gauche mais il ne l’est plus aujourd’hui. Il a certes évolué sur le fond et dans sa communication, sans toutefois jamais marquer formellement cette rupture. Il faut noter les sujets dont on ne parle pas aux derniers congrès du PTB, parce que plus marquants que ceux dont on parle. Sur le rapport historique à la Chine et à l’Union soviétique, sur Pol Pot ou le Vietnam, sur la définition du principal ennemi, à aucun moment, le PTB ne dit s’être trompé ni ne présente ses positions. Le discours est beaucoup plus emballé et évasif que ça. Le PTB tient un double discours, en fonction des publics auxquels il s’adresse. Ça entretient la difficulté de l’apprécier correctement. Ce parti est aussi présent à des réunions internationales où siègent des partis d’extrême gauche orthodoxes. Les journalistes n’y sont jamais invités alors qu’ils le sont à Manifiesta et aux conférences de presse de Raoul Hedebouw.

Le changement évoqué pour le PTB n’est donc que de façade ?

Certains pensent que le PTB a changé, d’autres, au contraire, qu’il regroupe toujours des staliniens invétérés. Je suis de ceux qui considèrent que la dynamique et le nouveau statut électoral et politique du parti l’ont changé sur le fond. Jusqu’à quel point ? C’est une question complexe et je pense qu’elle est complexe même pour ses membres. Dans leurs discours à la Chambre, on ne trouve plus que deux catégories de choses : la taxe des millionnaires et le « clashage » systématique, par Raoul Hedebouw, du Premier ministre Charles Michel. C’est un discours simpliste. Mais si vous regardez le programme du PTB, il n’a rien de révolutionnaire. Il est foncièrement social-démocrate. Il est construit sur la base de ce que le parti croit que les citoyens attendent. En creux, le rapport du PTB aux institutions et à la démocratie est intéressant. Dans les interviews de ses élus, il y a toujours une forme d’approche du travail institutionnel aux confins du dénigrement. Le Parlement leur sert de tribune. Pour le PTB, tout se passe dans et par le mouvement social, hyper-valorisé, et ce n’est pas au Parlement que les choses se font. Ce qui nous rapproche de la définition historique de l’extrême gauche.

Pourquoi le PTB tient-il tant à ne pas être associé à l’extrême gauche ?

Je pense que ses membres le vivent comme disqualifiant, notamment vis-à-vis de certains publics. Et comme un problème de parallélisme avec l’extrême droite Jusqu’à leur mue communicationnelle, peu de gens avaient fait le rapprochement. Depuis quelques mois, c’est beaucoup plus le cas dans la presse et dans le monde politique. Bart De Wever, qui se réjouissait jusqu’il y a peu de la montée du PTB parce qu’elle affaiblissait le PS, fait désormais systématiquement le parallèle entre le PTB et l’extrême droite. En partie pour disqualifier une alliance potentielle avec le PTB.

Symbole des gauches radicales, au pluriel : Syriza, dont le pire ennemi est le Parti communiste grec.
Symbole des gauches radicales, au pluriel : Syriza, dont le pire ennemi est le Parti communiste grec. © Reuters

L’extrême gauche et l’extrême droite sont-elles comparables ?

Pour une partie de l’opinion, ces deux extrêmes sont aussi problématiques l’une que l’autre. Mais à peu près dans tous les pays d’Europe, les personnalités et partis qui suscitent le plus de rejet sont liées à l’extrême droite. Il est vrai qu’elles sont plus puissantes, ce qui suscite une certaine crainte. Mais de manière générale, l’extrême droite radicale suscite plus d’hostilités que l’extrême gauche pour l’instant.

Est-ce parce que sur le fond des revendications de la gauche, il y a d’abord la défense de l’égalité, avec lequel, avec un peu de bon sens, on ne peut qu’être d’accord ?

Ce qui distingue les deux extrêmes, fondamentalement, c’est le rapport à l’égalité, pas seulement sur le plan socio-économique. L’extrême droite est structurellement et organiquement inégalitaire, alors que la gauche radicale est tendanciellement égalitaire. Idem dans le rapport à l’autre, sur les questions des réfugiés, ou des musulmans: l’extrême droite est dans une posture de rejet et ne les considère pas comme des égaux alors que la gauche radicale est dans une posture d’égalité, même si une partie de son public est xénophobe.

La perception de l’extrême droite n’est-elle pas liée au nazisme, que nous, Occidentaux, avons davantage en mémoire que les exactions commises sous Staline ou Mao ?

Si, ça joue. Pour beaucoup, Mao et Staline sont des inconnus. Mais le rapport avec la deuxième guerre mondiale disparaît aussi peu à peu. Hitler et Mussolini ne sont plus aussi connus des jeunes. C’est d’ailleurs ce qui permet en partie la poussée de l’extrême droite. Le caractère de la « dangerosité » de l’extrême droite, rapporté à ce conflit, est moins opératoire aujourd’hui.

L’axe gauche droite se déplace-t-il ?

La gauche et la droite sont intimement liées. S’il y a des mouvements à gauche, il y en a forcément à droite, et inversement. Ensuite, ça dépend sur quelles questions. Dans certains pays, on observe que quand des partis socialistes sont au pouvoir, ils ouvrent grand la porte aux mouvements de la gauche radicale. C’est le cas en Grèce, où le Pasok a fait le nid de Syriza, et en Espagne, où le PSOE a ouvert un boulevard à Podemos. Mais ce n’est pas toujours comme cela.

En Belgique, le PS n’est pas moins à gauche qu’avant. Il est même plus à gauche, sur certains sujets non socio-économiques. Il doit composer avec une forte droitisation du paysage politique en Flandre, contexte qui lui est plus défavorable qu’avant. Il a ainsi dû accepter le compromis sur les allocations d’attente, ce qui lui a causé un grand préjudice. Le SPa est par contre moins à gauche qu’avant. Ça n’a pas profité à la gauche radicale mais à la droite radicale flamande. Il n’y a donc pas automatiquement de vase communicant entre gauche et gauche radicale.

Les gauches radicales en Europe, XiXè-XXIè sicèles, Pascal Delwit, Editions de l’Université de Bruxelles, 2016, 656 p.

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