Antoine Deltour lors du premier procès, fin avril 2016. © Reuters

Le procès LuxLeaks et la résistance des multinationales

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Alors que les lanceurs d’alerte du LuxLeaks comparaissent à nouveau devant la justice luxembourgeoise, les super rulings accordés aux multinationales se portent de mieux en mieux. Quant aux mesures européennes de lutte contre l’évasion fiscale, elles font de plus en plus l’objet de tentatives de freinage.

Le procès en appel des deux lanceurs d’alerte à l’origine du Luxleaks vient de démarrer, ce lundi. Fin juin, Antoine Deltour et Raphaël Halet avait été condamnés en première instance à 12 et 9 moins de prison avec sursis. Mais tous deux ont fait appel et le ministère public a suivi. Les anciens employés de la firme de conseil fiscal PwC-Luxembourg entament donc un nouveau round devant la justice grand-ducale. Ils doivent répondre de faits de vol domestique, de fraude informatique et de violation du secret professionnel.

En première instance, le tribunal a tout de même reconnu que Deltour et Halet avaient contribué à une plus grande transparence et équité fiscale, soulignant ainsi l’intérêt général de leur démarche. Mais, dans le cadre du LuxLeaks, qui avait révélé des accords fiscaux extrêmement avantageux entre le fisc luxembourgeois et plus de 300 multinationales (dont plusieurs belges), les lanceurs d’alerte ne sont guère protégés par le droit luxembourgeois ni par le droit européen.

C’est d’ailleurs un des enjeux de ce procès. Si les législations et jurisprudences nationales ont tendance à se montrer plus favorables aux lanceurs d’alerte, la Commission UE, elle, tergiverse et traîne les pieds, de manière presque suspecte, pour mettre en route une directive en la matière. Il n’est même pas certain qu’une proposition voit le jour l’année prochaine, a même avoué récemment la commissaire à la Justice devant le Parlement européen.

La protection des lanceurs d’alerte prend pourtant tout son sens, surtout lorsqu’on voit les chiffres révélés par le collectif d’ONG Eurodad : l’usage des rulings fiscaux avantageux accordés aux multinationales se porte toujours très bien au sein de l’UE. Les chiffres ont même plus que doublé en 2015, soit après les révélations du LuxLeaks en novembre 2014 et les promesses de Jean-Claude Juncker d’un sursaut dans la lutte contre ce phénomène !

Dans le haut du classement des Etats accordant le plus grand nombre de ces rescrits fiscaux, aussi appelés « sweetheart deals » en anglais, on trouve le Luxembourg et la Belgique. Les rulings belges sont passés de 166, en 2014, à 411, en 2015. C’est cinq fois plus que la moyenne des Vingt-Huit. Fort de l’augmentation la plus spectaculaire, notre pays a ainsi grignoté une place dans ce top fiscal, reléguant les Pays-Bas en troisième position (236 rulings, l’année dernière).

Il sera intéressant d’avoir un aperçu des chiffres de 2016. C’est, en effet, en octobre 2015 que les Etats de l’Union européenne se sont mis d’accord pour que les détails de ces super-rulings fassent l’objet d’un échange entre administrations fiscales, sans toutefois qu’ils ne soient rendus publiques. Soulignons encore que, dans l’étude d’Eurodad, la Belgique arrive en deuxième position (après les Pays-Bas) dans le classement des pays de l’UE ayant mis en place des structures fiscales agressives, telles que la déduction pour revenus de brevets dont bénéficient aussi les multinationales.

Quant aux plans européens pour lutter contre les pratiques d’évasion fiscale (ATAD, anti-tax avoidance directive), ils avancent à pas mesurés, les résistances se succédant. En juin dernier, la Belgique avait refusé un compromis avalisé par les 27 autres Etats de l’UE. Le ministre des Finances, Johan Van Overtveldt (N-VA), craignait que cela ne fasse fuir les multinationales. La Belgique a finalement voté sans voter, via une procédure de silence… Aujourd’hui, c’est le ministre des Finances hollandais qui tente de retarder le train.

Contrairement à une résolution adoptée par son propre parlement, Jeroen Dijsselbloem propose de reporter à 2024, au lieu de 2019, l’entrée en vigueur des dispositions de la directive ATAD mettant fin aux « dispositifs hybrides ». Ces dispositifs permettent aux multinationales de faire leur shopping en tirant parti des disparités entre systèmes fiscaux nationaux pour réduire leur charge imposable globale. L’argument de Dijsselbloem est de donner le temps aux Etats-Unis, qui comptent un bon nombre de multinationales, de légiférer les premiers en la matière. Cela paraît d’autant plus absurde que Washington a connaissance depuis longtemps de l’utilisation abusive des dispositifs hybrides par les multinationales et que les recommandations de l’OCDE en la matière, valables pour tous ses pays membres (dont les Etats-Unis), datent de 2013.

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