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Le poison islamophobe

Le Vif

La montée des actes antimusulmans attise la tentation du repli communautaire. Un engrenage dont profitent les islamistes radicaux pour jouer la surenchère.

L’heure de la prière approche. Ce vendredi d’automne, les fidèles convergent vers la mosquée Al-Forqane, en bordure de la cité des Minguettes, à Vénissieux, dans la banlieue sud de Lyon. Beaucoup pressent le pas pour éviter les questions. Selim, la quarantaine, s’attarde un peu. « Depuis longtemps, on subit les regards hostiles, les insultes, lâche ce père de famille en soupirant. Maintenant, ce sont les agressions et même un projet d’attentat. Les musulmans sont devenus des cibles, c’est ça ? » Aux Minguettes, chacun a en tête l’arrestation d’un militaire, près de Lyon, le 7 août. Cet homme proche des idées de l’extrême droite radicale projetait de tirer sur la foule, trois jours plus tard, à la fin du ramadan.

Ces derniers mois, une série d’actes antimusulmans se sont succédé en France. Mosquées couvertes de slogans haineux ou souillées par une tête de porc sanguinolente, courriers injurieux, menaces de mort… En juin et juillet, quatre jeunes femmes portant un foulard ont été agressées à Argenteuil (Val-d’Oise, au nord de Paris) et à Trappes (Yvelines, à l’ouest de la capitale) par des hommes arborant un look skinhead. Par ailleurs, dans un contexte hypertendu, le 19 juillet, à Trappes encore, le contrôle houleux par la police d’une femme convertie, arborant le voile intégral – interdit dans l’espace public depuis 2011 -, débouchait sur des émeutes…

« Le climat est très lourd. Les violences verbales et physiques ont augmenté de 35 % au premier semestre 2013 par rapport à la même période de 2012 », relève Abdallah Zekri, président de l’Observatoire de l’islamophobie, qui comptabilise uniquement les faits suivis d’un dépôt de plainte.

Sur fond de crise, d’actualité internationale violente et de surenchère populiste, l’islam suscite une crainte chez certains, notamment dans les quartiers populaires. L’activisme des petits groupes salafistes en faveur d’une « rupture » avec la société attise aussi les réactions de rejet. A cela s’ajoute le racisme ordinaire, qui s’abrite parfois derrière le droit légitime de critiquer les religions.

« Au lieu de se plaindre du communautarisme, les politiques feraient mieux de s’attaquer aux racines du problème : discriminations, chômage, ghettoïsation », affirme Abdelaziz Chaambi, ancien militant d’extrême gauche et président de la Coordination contre le racisme et l’islamophobie. Deux autres organisations, le Collectif contre l’islamophobie en France et la Ligue de défense judiciaire des musulmans, se sont spécialisées dans le soutien juridique aux victimes. « Mais ces associations sont en concurrence pour faire prévaloir leur légitimité dans la lutte contre l’islamophobie. Cela crée une confusion et risque d’être contre-productif », explique le chercheur Haoues Seniguer, spécialiste de l’islam.

Plus inquiétant : quelques militants radicaux tentent d’instrumentaliser ces tensions. Lors des émeutes de Trappes, l’animateur du site Internet Islam & Info, Eli Yess Zareli, dit Elias d’Imzalène, a acquis une certaine audience en diffusant des vidéos dénonçant les « mensonges des médias ». Mais cet agitateur salafiste s’est aussi imposé dans des réunions avec les pouvoirs publics, à Argenteuil, en tant que porte-parole d’un collectif d’habitants. Or, il n’habite même pas dans le département… Sur le Web, il distille un discours antirépublicain et invite les musulmans à « délaisser les écoles où on apprend à mécroire ». Son épouse, elle, préside depuis 2011 une association de femmes portant le niqab, qui réclame l’abrogation de la loi sur le voile intégral. Pas sûr que les musulmans de France aient besoin de tels défenseurs.

Par Boris Thiolay, avec Kevin Erkeletyan

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