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Le piège des Kim pour faire trébucher l’Amérique

Muriel Lefevre

La dynastie Kim, qui règne sur la Corée du Nord depuis 1948, a mis patiemment en place un piège machiavélique pour faire trébucher l’Amérique et la forcer au respect. Kim Jong-un, le dernier en date de la lignée, loin de signer l’effondrement du régime, pourrait bien en être l’exécuteur.

Lorsque son père meurt soudainement d’une crise cardiaque en décembre 2011, beaucoup pensent que Kim Jong-un, qui a alors moins de trente ans et n’est pas suffisamment préparé, va se contenter d’être la marionnette de la vielle garde. Inconnu du peuple et de la classe dirigeante et ne pouvant se targuer d’une carrière militaire, il avait, a priori, tout d’un oiseau pour le chat. Ils étaient donc nombreux à penser que son avènement signait l’effondrement du régime. Six ans plus tard, cette prédiction est restée lettre morte.

Régner par la terreur

En tirant parti de sa ressemblance frappante avec « le père de la nation », son grand-père Kim Il-sung mort en 1994, la propagande est parvenue à en faire une sorte de réincarnation. Même carrure, même voix grave et même jovialité. Et pour ceux pour qui la nostalgie ne fonctionne guère, on n’hésite pas à faire preuve de brutalité pour régner par la terreur.

Un homme mystérieux

Rien ne le destinait à être l’héritier programmé puisqu’il n’était pas l’aîné de sa fratrie. Mais son caractère plus combatif, ainsi que l’influence notable de sa mère, va pousser son père à le désigner comme tel dès l’âge de 8 ans. Aucun dirigeant occidental ne l’a rencontré et aucun service de renseignement du monde, États-Unis en tête, n’arrivent à le cerner. À titre d’exemple, on ne connaît même pas son âge exact. On estime qu’il aurait aux alentours de 34 ans. On sait qu’il a fait quatre ans d’étude en Suisse sous un nom d’emprunt entre 1996 et 2000, soit durant ce qu’on va appeler la grande famine qui va provoquer la mort de près d’un million de Nord-Coréens. Il aurait été diplômé de l’académie militaire nord-coréenne en 2007 avant d’intégrer l’appareil étatique, notamment dans ce qui touche à la sécurité de l’état. Il apparait pour la première fois sur les photos officielles en septembre 2010.

Les personnes susceptibles de lui résister ou, plus prosaïquement, qui pouvaient lui faire de l’ombre, ont été balayées. On estime qu’en 6 ans, 200 personnes ont été les victimes de ces purges.

Il va ainsi « épurer » la hiérarchie militaire pour mettre l’armée au pas. Tous ceux que l’on suspecte d’un manque de loyauté seront limogés, bannis ou même exécutés. Les plus hauts niveaux de l’armée ne seront pas épargnés puisque deux chefs d’état-major successif seront limogés : le général Ri Yong-ho en 2012 et le général Hyon Yong-chol en 2014. Personne ne sait ce qu’ils sont devenus. Les chefs d’état-major ainsi que les ministres de la Défense se sont succéderont ensuite à un rythme jamais vu en RPDC précise Le Monde.

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Kim Jong-un va aussi remplacer un quart des cadres des instances dirigeantes de son parti. Un « nettoyage » qui touchera même la famille puisque son oncle par alliance, qui avait accumulé trop de pouvoir, sera exécuté en 2013 pour corruption et son demi-frère, candidat potentiel pour ceux qui souhaitaient une alternative, sera empoisonné en 2017 dans l’aéroport de Kuala Lumpur. Loin d’être un signe de faiblesse, tout cela est au contraire la preuve que l’homme a réussi à se maintenir au pouvoir et y règne aujourd’hui sans partage.

Chef de guerre

En se muant en chef de guerre qui ose défier sans vergogne les États-Unis, il renforce encore davantage son pouvoir. Malgré quelques gestes d’ouverture comme la participation de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) aux Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang, le régime ne rate jamais une occasion de provoquer les USA.

Les insultes verbales entre Donald Trump et Kim Jong-un peuvent-elles dégénérer en conflit nucléaire ?
Les insultes verbales entre Donald Trump et Kim Jong-un peuvent-elles dégénérer en conflit nucléaire ? © Ahn Young-Joon/ISOPIX

Comme cette grandiloquente parade militaire prévue pour ce 8 février, jour anniversaire de la création de l’armée populaire.

La Corée du Nord a organisé jeudi un défilé militaire à Pyongyang, démonstration de force à 24 heures de l’ouverture des jeux Olympiques d’hiver au Sud. On pouvait voir sur des images mises en ligne de Pyongyang des camions remplis de soldats quitter le centre-ville, saluant la foule en liesse après avoir participé au défilé. Suivaient des chars et d’autres véhicules.

A la différence du dernier défilé militaire d’avril 2017, la télévision officielle nord-coréenne n’a pas diffusé celui-ci en direct.  » Le Nord a annoncé le mois dernier qu’il célébrerait cette année le 70e anniversaire de son armée le 8 février, au lieu du 25 avril. D’ordinaire, les défilés militaires nord-coréens rassemblent des milliers de soldats qui défilent au pas de l’oie et des centaines de véhicules blindés, avec comme point d’orgue une parade de missiles place Kim Il Sung, armements scrutés de près par des observateurs à l’affut des progrès technologiques du Nord. Mais rien de tout cela n’avait été repéré sur les images satellite des répétitions du défilé, selon le site américain respecté 38 North. Le Nord invite généralement des centaines de journalistes étrangers à ces manifestations, ce qui n’a pas été le cas cette fois ci, peut-être le signe qu’il entendait garder la haute main sur la perception de l’événement.

Flonflon et démonstration de force qui ne manqueront pas de titiller encore davantage la rage d’un Donald Trump qui le traite de « rocket man » et lui promet « le feu et la colère ». Après avoir essayé, sans succès, la discussion et de faire intervenir la Chine, le président américain n’utilise en effet plus que l’intimidation.

Une stratégie construite sur deux décennies

Face à lui, Kim Jong-un semble imperturbable et rend coup pour coup. Après tout, il ne fait que peaufiner habilement une stratégie établie il y a plus de 70 ans par son grand-père et poursuivie ensuite par son père. L’option nucléaire n’est en effet pas neuve en Corée du Nord. Loin de là même, puisqu’elle a été lancée dès 1962. Le choix du nucléaire est le choix du plus faible. Les Kim ne pouvant que se concentrer sur une chose: ce fut l’arsenal nucléaire. Avec une idée simple. Les USA n’attaquent pas les pays dotés d’une puissance nucléaire. Pour survivre, aux yeux des Kim, leur pays se devait d’avoir la bombe nucléaire.

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Ils seront dans un premier temps aidés par les Russes et, au début des années 60, ces derniers vont même leur offrir un réacteur clés en main dans le cadre d’un traité d’assistance.

Dès les années 70, les Américains sont mis au parfum grâce à des avions-espions américains. Mais tout cela sera pris un peu trop à la légère et, dans la quasi-indifférence internationale, dès le début des années 80, la Corée a déjà tous les ingrédients pour faire une arme nucléaire.

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Pour mieux avancer dans l’ombre et pour se faire aider par les Russes, les Coréens du Nord vont même signer le traité de non-prolifération d’arme nucléaire en 1985 et accepter les contrôles inhérents à cet accord. Dès 1992 et durant deux ans se joue alors un jeu de poker menteur avec les contrôleurs de l’agence atomique internationale. Au bout du processus, Hans Blix, son patron, ne pourra que reconnaître son échec à établir avec exactitude les avancées coréennes dans ce domaine.

L’année 1994, année charnière

Bill Clinton vient alors d’être élu président. À ce moment, on ne peut plus ignorer les premiers signes du succès du projet atomique muri depuis des décennies. Confronté aux faits, il va menacer, vingt ans avant Trump, la Corée du Nord de destruction totale si elle n’arrête pas son programme nucléaire. La menace était alors très sérieuse. En juin 1994, à Washington la riposte américaine ne semble alors qu’une question d’heure. Les options étaient d’éradiquer le réacteur, voire de lancer une action plus large qui aurait pu faire de nombreux morts parmi les civils sud-coréens et les très nombreux militaires américains (1 million d’hommes) présents. Un potentiel carnage, mais la Corée du Nord serait battue à coup sûr. Par contre, si on leur laissait la possibilité de poursuivre et de parvenir à l’arme nucléaire, la situation serait encore plus dangereuse.

Carter et Clinton en 1999
Carter et Clinton en 1999© Reuters

Au même moment, l’ancien président Carter tente, de sa propre initiative, une négociation de la dernière chance. Kim Il-sung est alors malade et est secondé par son fils. On entraperçoit une possibilité de régler pacifiquement la situation. L’affrontement sera évité de justesse. Quelques jours plus tard, Kim Il-sung meurt.

Un portrait de Kim Il-Sung (à gauche) et son fils Kim Jong-il .
Un portrait de Kim Il-Sung (à gauche) et son fils Kim Jong-il .© Reuters

Passé le deuil, les négociations vont reprendre avec Kim Jong-il. On arrive même quatre mois plus tard à un compromis. La Corée du Nord renonce à son programme nucléaire contre la promesse des Américains de leur fournir deux réacteurs à l’eau légère qui peuvent produire de l’énergie, mais difficilement des bombes. La CIA estime que sans ce deal, ils auraient pu produire 200 kilos de plutonium chaque année. Les relations sont à ce point au beau fixe qu’on envisage même une visite de Clinton en Corée du Nord.

Sauf que quelques mois plus tard, changement de président et de stratégie aux États-Unis. Bush dénigre systématiquement tous les avancements réalisés par Clinton. Après les attentats de 2001, la politique internationale américaine opère même un changement de cap radical. Le président américain place la Corée dans le fameux axe du mal. Les dirigeants de la Corée du Nord ne croient dès lors plus du tout à une normalisation des relations et reprennent ouvertement leur programme nucléaire basé sur le plutonium. On estime que la dernière fenêtre de négociations remonte à octobre-novembre 2000. Par la suite, il n’y aurait plus eu la moindre ouverture.

Pendant les années Bush, la propagande coréenne se durcit et braque le peuple nord-coréen chaque jour davantage. En parallèle, ils engagent un maximum de moyens pour mettre rapidement leur bombe au point. Cela fut fait le 9 octobre 2006 avec le premier essai nucléaire annoncé triomphalement à la télé. Il n’est pas très puissant, mais c’est la preuve éclatante qu’ils n’ont jamais véritablement cessé leur programme. En réalité, même sous Clinton, ils n’ont probablement jamais arrêté de mentir aux Américains et ont juste essayé de gagner du temps. Et comme il s’agit d’une dynastie totalitaire, ils peuvent voir défiler les présidents américains sans changer de cap.

La patience stratégique

Lorsqu’Obama arrive au pouvoir, il tente de relancer la discussion, de « réinventer une piste diplomatique ». La réponse de la Corée sera un test de missile. Histoire de montrer qu’ils ne peuvent plus être intimidés. Qu’ils peuvent se permettre de ne plus avoir peur.

Obama
Obama © Reuters

Le président américain s’en rend compte, mais n’y voyant aucun bénéfice politique, préfère ne rien faire en évoquant son inertie sous le terme un peu pompeux de la patience stratégique. Peu impressionnés par la méthode, les Nord-coréens ne lâchent rien durant les deux mandats d’Obama. Ils continuent sur leur lancée. Le rêve de Kim Il-sung était d’être reconnu d’égal à égal avec les USA. Durant sept décennies, Les Kim n’auront qu’une seule ligne de conduite. La Corée du Nord ne cédera pas, quelles que soient les menaces. Et lui, Kim Jong-un, ira même plus loin en accélérant la cadence. Depuis qu’il a repris les rênes du pouvoir, on a même mis les bouchées doubles. Il dépenserait 20% de son PIB pour le programme d’armement nucléaire.

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Il faut dire que l’arme nucléaire a de nombreux avantages. D’abord, elle coûte moins cher que l’armement conventionnel et les usines de l’armée peuvent être utilisées pour produire des biens de consommation. Une chose utile, pour un dirigeant qui n’a pas peur d’un certain libéralisme. Ensuite, la course à l’armement nucléaire mobilise la fierté nationale et est présentée, à une population qui se pense assiégée, comme une garantie contre les attaques.

C’est un succès, au point de prendre tout le monde de vitesse. À la fin du second mandat d’Obama, en janvier 2017, juste avant la cérémonie d’investiture de Trump, Kim Jong-un montre aux USA et au Monde qu’il est capable d’envoyer une bombe nucléaire jusque sur le sol américain.

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La nouvelle donne qui complique encore la situation est Trump et ses sorties tonitruantes. À chaque fois qu’il évoque l’idée de faire disparaître la Corée du Nord, il rapproche le monde de l’éclatement d’un conflit. Car le piège des Kim tendu à l’Amérique se referme. Bientôt, la réalité d’un missile nucléaire capable de toucher les Etats-Unis se faisant de plus en plus précise, Trump n’aura simplement plus les moyens de menacer sérieusement Kim Jong-un. Sauf s’il souhaite plonger tête baissée dans un conflit nucléaire mondial.

Un passionnant reportage d’Arte sur ce sujet est à voir ou à revoir gratuitement ici jusqu’au 7 mai:

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