Le paradoxe du Brexit: on souhaite vivre bon marché, mais on ne veut pas des gens qui le permettent

Le Brexit dévoile un terrible paradoxe, écrit notre confrère de Knack Dirk Draulans: « nous souhaitons un grand marché, mais pas s’il signifie accueillir des étrangers ».

La croissance n’est jamais assez rapide, le marché jamais assez grand – c’est le dogme de base de l’économie moderne. Le monde est devenu un marché grâce à la globalisation destructrice pour la nature et l’environnement, mais pas pour l’humain. Plus les débouchés sont importants, plus les bénéfices sont élevés et plus les prix peuvent baisser. Avec un peu de chance, on peut manger un beefsteak à 5 euros, acheter des vêtements à 12 euros et dénicher un billet d’avion moins cher qu’une soirée de parking à Bruxelles.

Peu de personnes s’interrogent sur les mécanismes derrière ces prix cassés. Le travail d’enfants, les salaires de misère et la pollution ne peuvent gâcher le plaisir.

Le consommateur qui ne réfléchit pas se moque également du pur chaos qu’est l’économie. Que des pommes belges partent en Chine et que des pommes néo-zélandaises débarquent en Belgique, que des cochons belges aillent en Europe de l’Est et que des cochons espagnols arrivent chez nous, ne leur pose aucun problème, malgré les grosses empreintes écologiques. Il n’y a plus de limites. Le supermarché du plus petit village propose des bananes importées d’Amérique du Sud ou d’Afrique, des avocats d’Israël ou de Nouvelle-Zélande, du poisson de l’Océan Arctique ou de la Méditerranée. On trouve des bières et des pralines belges aux quatre coins du monde.

Et puis il y a ce qu’on appelle par commodité globalisation culturelle : dans la forêt amazonienne, on voit des enfants avec des t-shirts Coca-Cola ou McDonald’s, ou en maillot de foot à l’effigie de Lionel Messi de FC Barcelone ou « notre » Éden Hazard de Chelsea. Un marché illimité est présenté comme un enrichissement, car tout le monde a droit au meilleur du monde.

Mais attention quand ce ne sont pas des produits, mais des personnes qui entrent. Jamais encore, le monde n’avait été un grand village comme aujourd’hui, jamais encore on n’avait transporté autant de biens dans toutes les directions possibles, mais nous ne voulons pas d’autres personnes. C’est l’un des paradoxes de notre société moderne. On remet en cause le marché européen unifié parce qu’une petite majorité de Britanniques sont effrayés par les ouvriers polonais et les chauffeurs de camion roumains. Des gens qui nous entraveraient parce qu’ils voleraient nos emplois. Par commodité, on préfère ignorer qu’ils contribuent à baisser le prix du travail, ce qui rend nos produits meilleur marché. On ne voit que les avantages d’un grand monde.

Les Chinois ne posent problème à personne, ils n’interfèrent pas avec notre système. Ils ouvrent des restaurants chinois et restent surtout chinois. Quand un Chinois reprend une friterie en Belgique, il fait la une de la presse locale. Les sportifs de haut niveau ça va, on les habille des couleurs de l’équipe et on voit moins la différence. Mais les Polonais et les Roumains ? Où sont leurs restaurants, où sont leurs marqueurs de buts dans notre compétition de foot?

Depuis l’agitation autour du Brexit, les slogans racistes contre les Européens de l’Est fleurissent sur les murs anglais et les réseaux sociaux. Et pour le referendum, le passé s’est heurté de plein fouet à l’avenir. La majorité des Britanniques à avoir voté contre l’Europe sont plus âgés et viennent de province. Les jeunes et les citadins sont plutôt pour. Ils voient plus les avantages du marché unifié et craignent moins les migrants qu’ils rencontrent dans leur environnement et avec qui dans le meilleur des cas, ils n’ont pas de mauvais contacts.

Les réseaux sociaux représentent un autre aspect de notre monde globalisé dont on sous-estime la force. La presse britannique et ses tabloïds n’étaient déjà pas un exemple d’information neutre et objective, mais les réseaux sociaux renforcent l’impact de messages courts emballés en slogans qui appellent à ce qu’on appelle « l’intuition » du citoyen. Ils permettent encore plus qu’autrefois de marteler des positions peu nuancées de tellement de gens qu’elles donnent lieu à des bêtises. Plus encore qu’à l’époque, un referendum est totalement inadapté à la prise de décision dont les conséquences peuvent être si complexes que, comme dans le cas du Brexit, même les instigateurs du désastre ne savent que faire ensuite. Laissez décider le peuple qui doit être « l’homme du match », mais ne le laissez pas juger d’un défi économique et politique compliqué.

Le tumulte autour du Brexit doit surtout servir de leçon de modestie, tant pour les politiques nationalistes qu’européens. Mais espérons que le résultat d’un referendum soit soigneusement ignoré et que la sortie du Royaume-Uni de l’Europe soit annulée. La folie a suffisamment duré.

À moins qu’à terme on veuille revenir à un monde sans piles de bananes et d’avocats dans nos supermarchés, sans billets d’avion à des prix cassés pour des resorts all-in vendus comme des destinations exotiques et sans les Primark et H&M. Peu m’importe, mais je crains que si on organise un référendum là-dessus, la très grande majorité soit contre. Si on confronte les gens directement à l’abandon de ce qu’ils considèrent comme un confort acquis, on aura un résultat différent que quand ils croient voter contre la migration.

La globalisation n’a pas empêché l’abrutissement populaire, au contraire, elle en a agrandi l’échelle

La globalisation n’a pas empêché l’abrutissement populaire, au contraire, elle en a, comme elle le fait généralement, agrandi l’échelle. Là aussi c’est une leçon.

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