Marine Le Pen © Reuters

« Le modèle de Marine Le Pen, ce n’est pas Pétain, c’est Poutine »

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Aujourd’hui, l’urgence, pour Raphaël Glucksmann, fils de l’intellectuel André Glucksmann, est de contrer l’idéologie triomphante des réactionnaires, d’Eric Zemmour à Marine Le Pen.

Aujourd’hui, l’urgence, pour Raphaël Glucksmann, fils de l’intellectuel André Glucksmann, est de contrer l’idéologie triomphante des réactionnaires, d’Eric Zemmour à Marine Le Pen. Dans Génération Gueule de Bois, il pose les jalons du sursaut des démocrates face à l’extrême droite : il est temps de se battre à nouveau pour des idées. Car l’éclosion des djihadistes et l’essor du Front national sont les symptômes d’un même mal : le vide idéologique laissé par les partis politiques traditionnels.

Le Vif/L’Express : Vous soulignez que Marine Le Pen a été la première à avoir osé nommer l’idéologie qui a animé les tueurs des 7 et 9 janvier dernier à Paris en parlant d’islamisme politique. Qu’est-ce que cela révèle ?

Raphaël Glucksmann : Elle est la seule qui a une vision réellement politique des événements alors que les dirigeants traditionnels pensent storytelling, com’ et gestion. De la sorte, ils laissent au Front national le monopole de la parole idéologique. Il a fallu attendre une semaine pour entendre un grand discours politique du Premier ministre, Manuel Valls, à l’Assemblée nationale.

Comment expliquer que les partis traditionnels aient négligé ces dernières années de traiter de front des dossiers comme l’immigration, les banlieues, le vivre ensemble ?

Le silence coupable de la gauche jusqu’aux attentats s’explique par une cécité tout aussi coupable sur d’autres sujets. Pourquoi ? La gauche a connu une période d’aphasie parce qu’elle a tiré comme leçon de l’échec criminel de l’idéologie communiste le constat que les idées étaient dangereuses et qu’il fallait se convertir à la gestion. Je ne suis pas opposé à la nécessité d’avoir de bons gestionnaires – le problème, en plus, est qu’ils ne sont pas de très bons gestionnaires – mais cela ne suffit pas. La gauche rechignait à parler d’islamisme de peur de stigmatiser une communauté. C’est une vision dépourvue de toute culture politique. Quand on dénonce l’islamisme, on dénonce une idéologie politique qui n’est pas assimilable à l’islam ou aux pratiques culturelles des populations issues de l’immigration. En ne nommant pas politiquement le problème, on permet aux gens de faire des amalgames.

Poutine pourrait-il être le porte-flambeau d’une « révolution conservatrice européenne » ?

Une certitude, Poutine s’impose aujourd’hui comme le dénominateur commun de toutes les extrêmes droites européennes. Elles se divisent en deux camps, l’extrême droite antisémite avant d’être antimusulmane, qui peut même avoir de la sympathie pour l’islamisme, et celle qui est d’abord antimusulmane. Mais un facteur les unit toutes : la fascination pour Poutine. Il incarne le contre-modèle absolu de ce qui est exécré par les extrêmes droites dans les sociétés européennes : le rêve de « revirilisation » face à une féminisation de la vie politique et sociale, la réhabilitation de la guerre comme arme politique et celle de la violence comme norme sociale. Quand la fascination idéologique rencontre la capacité financière du Kremlin, on obtient le cocktail parfait pour une affiliation totale du Front national à Vladimir Poutine.

Pensez-vous qu’il y a une stratégie d’entrisme délibérée de la part de la Russie ?

Poutine a la volonté de semer le chaos en Europe. La guerre, culturelle et politique, a déjà commencé. Et Poutine dispose d’alliés qui, notamment, font 26 % des voix aux élections en France. La crise actuelle au Front national repose sur le rejet par Marine Le Pen des références pétainistes de son père. Car son modèle, ce n’est pas Pétain, c’est Poutine. Si l’on veut voir la société rêvée par le Front national, c’est à Moscou qu’il faut envoyer des reporters plutôt que d’interroger des historiens spécialistes des années 1930. Que son modèle politique soit Poutine suffit à la discréditer d’un point de vue démocratique.

Génération Gueule de Bois, Manuel de lutte contre les réacs, par Raphaël Glucksmann, Allary Editions, 171 p.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

– Pourquoi Poutine fascine

– Pourquoi Zemmour triomphe

– Pourquoi Marine Le Pen a-t-elle tant de succès

– « J’ai un rapport plus politique à l’engagement que la génération de mon père »

– Génocide rwandais : pourquoi rien n’a été fait en France

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