Sean Penn, ici à la première de A Million Ways to Die in the West. © REUTERS/Mario Anzuoni

Le Mexique veut entendre Sean Penn sur sa rencontre avec « El Chapo »

Le Vif

La capture du trafiquant de drogue Joaquin « El Chapo » Guzman, après sa spectaculaire évasion, était déjà digne d’un film hollywoodien. Elle en prend encore plus l’allure après la révélation de sa rencontre dans la jungle avec l’acteur américain Sean Penn, que le Mexique souhaite désormais interroger.

Sean Penn avait à ses côtés l’actrice mexicaine Kate del Castillo lorsque la réunion a eu lieu en octobre avec le chef du cartel de Sinaloa pour réaliser une interview.

« C’est exact, bien sûr, (nous voulons les entendre) afin de déterminer les responsabilités » de chacun, a dit dimanche à l’AFP une source du gouvernement fédéral sous couvert d’anonymat, tandis qu’une autre déclarait qu’il fallait déterminer si Sean Penn et Kate del Castillo avaient commis une faute.

Un journaliste peut interviewer un trafiquant de drogue, or « ce ne sont pas des journalistes », a ajouté cette deuxième source du gouvernement.

Le magazine rock américain Rolling Stone a diffusé samedi une interview d' »El Chapo » -diminutif de « chaparro » (« courtaud »), allusion à son mètre soixante-quatre- faite par Sean Penn accompagnée d’une photo prise le 2 octobre de la poignée de mains entre l’acteur oscarisé et le trafiquant, moustachu et portant une chemise en soie.

Rien d’illégal, selon un grand avocat

Cette rencontre clandestine de l’acteur américain Sean Penn avec le baron de la drogue ne l’expose pas à des poursuites aux Etats-Unis, selon un avocat expert de la défense des journalistes.

« Le simple fait de parler avec lui ne représente aucun risque pénal selon le droit américain », dit à l’AFP Floyd Abrams, avocat du cabinet Cahill Gordon & Reindel à New York, qui a défendu de nombreux journaux et télévisions américaines, notamment des journalistes à qui les autorités demandaient de révéler leurs sources.

Sean Penn n’aurait pas non plus pu être inquiété s’il avait agi comme citoyen privé, dit-il. « Le fait qu’il ait agi comme journaliste, au mieux, l’aidera à montrer qu’il n’était pas impliqué dans une sorte de conspiration avec lui. Ce n’est pas un crime de parler avec quelqu’un. Si (El Chapo) lui a donné de l’argent ou des conseils pour éviter d’être repéré, c’est un autre problème. Mais le seul fait de le rencontrer, de l’interviewer et d’écrire l’article ne suffit pas à justifier une action pénale ».

Selon lui, les autorités américaines auraient à la rigueur pu tenter d’interroger Sean Penn pour qu’il révèle le lieu où se trouvait le narcotrafiquant, mais cette question est devenue obsolète avec la capture de Joaquin « El Chapo » Guzman vendredi.

L’avocat n’a pas souvenir d’une affaire où des journalistes américains aient été poursuivis pour avoir interviewé des personnes recherchées.

La question pourrait toutefois revenir en cas de procès, un jour, aux Etats-Unis. La justice pourrait ordonner à Sean Penn de témoigner.

« Si cela arrive, il pourrait bien y avoir un conflit entre le département de la Justice et Penn », note Floyd Abrams.

En attendant, Sean Penn et l’actrice mexicaine Kate del Castillo, qui servit d’intermédiaire pour arranger la rencontre en octobre dernier dans la jungle mexicaine, intéressent les autorités au Mexique. Deux sources du gouvernement fédéral mexicain ont confié à l’AFP dimanche que les autorités souhaitaient les entendre afin de déterminer d’éventuelles responsabilités.

Sous-marins, avions, bateaux

« El Chapo » Guzman, 58 ans, a accueilli Sean Penn en un lieu isolé dans la jungle en l’appelant « compadre » (compagnon) et en lui faisant une grande accolade. La rencontre a duré sept heures.

« Je fournis plus d’héroïne, de méthamphétamines, de cocaïne et de marijuana que n’importe qui dans le monde », explique Guzman dans une surprenante confidence entre deux gorgées de tequila.

Le chef du cartel de Sinaloa ne se considère pas comme un homme violent. « Tout ce que je fais, c’est me défendre ».

« J’ai une flotte de sous-marins, d’avions, de camions et de bateaux », ajoute-t-il au cours de cet entretien que Kate del Castillo a aidé à organiser.

Le gouvernement mexicain « a eu connaissance de cette rencontre », ce qui a aidé à capturer vendredi le trafiquant, a déclaré samedi à l’AFP une source gouvernementale sous couvert d’anonymat.

Malgré les efforts de Sean Penn pour garder le secret, il est peu probable que celui-ci fasse l’objet de poursuites, estime Mike Vigil, un ancien responsable de l’agence américaine antidrogue (DEA).

« Je doute sérieusement qu’il soit poursuivi, même s’il a pris des précautions extraordinaires pour éviter que les autorités se servent de son portable afin de remonter jusqu’au +Chapo+ », souligne Vigil.

La procureure générale mexicaine Arely Gomez avait déclaré vendredi que Guzman avait été en contact avec des acteurs et des producteurs dans l’optique de réaliser un « biopic » sur sa vie, ajoutant que ces échanges avaient permis de le localiser.

Dans une autre vidéo diffusée par Rolling Stone, le trafiquant apparaît cette fois sans moustache, expliquant qu’il s’est tourné vers le trafic de drogue à l’âge de 15 ans parce qu' »il n’y avait pas de travail ».

« Malheureusement, j’ai grandi dans un endroit où il n’y avait, et il n’y a pas d’autre façon de survivre », affirme Guzman.

Interrogé sur sa responsabilité face à l’ampleur de la toxicomanie dans le monde, il répond : « C’est faux. Le jour où je n’existerai plus, cela ne réduira pas le trafic de drogue ».

Procédure d’extradition

L’interview de Rolling Stone a été publiée quelques heures après que le gouvernement mexicain eut annoncé ouvrir la voie à l’extradition vers les Etats-Unis de ce baron de la drogue.

Le président Enrique Pena Nieto s’était jusqu’alors refusé à toute extradition de Guzman, mais son évasion rocambolesque en juillet dernier, a porté un coup très dur à la crédibilité des autorités mexicaines et a changé la donne.

« Avec la recapture de Guzman, il faudra enclencher les différentes procédures d’extradition », a fait savoir dans un communiqué le ministère de la Justice, sans fournir de date pour un possible transfèrement vers les Etats-Unis.

Les autorités judiciaires mexicaines ont informé qu’elles fourniraient « des éléments » pour combattre toute stratégie de la défense en vue de s’opposer à ce départ.

De son côté, un des avocats du trafiquant, Juan Pablo Badillo, s’est engagé à porter le cas jusqu’à la Cour suprême s’il le faut.

« Il ne devrait pas être extradé car le Mexique a une Constitution juste », a dit l’avocat aux journalistes.

La traque d' »El Chapo » s’est achevée vendredi dans la ville côtière de Los Mochis, dans l’Etat de Sinaloa, sa région natale, où les Marines mexicains ont effectué un raid au cours duquel cinq de ses hommes de main ont été tués et un militaire blessé.

Arrêté en tentant de fuir, Guzman a été transféré à la prison d’Altiplano, d’où il s’était évadé le 11 juillet, par le biais d’un tunnel d’un kilomètre et demi creusé sous la douche de sa cellule.

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