Denis Mukwege © Reuters

Le médecin congolais Denis Mukwege reçoit le prix Sakharov

Le Parlement européen a décerné mardi son prix Sakharov 2014 de la liberté de pensée au gynécologue congolais et défenseur des droits de l’homme Denis Mukwege.

Denis Mukwege est le fondateur de la clinique de Panzi à Bukavu où il traite les victimes de viols (collectifs) commis dans l’est du Congo, en proie à de graves troubles depuis des années. En 2012, il avait survécu à une tentative d’assassinat. Le lauréat a été préféré aux deux autres finalistes, le mouvement ukrainien EuroMaidan et l’activiste des droits humains azerbaïdjanaise Leyla Yunus. Le prix Sakharov est attribué depuis 1988 par le Parlement européen à une personnalité ou une organisation pour ses mérites dans la défense des droits humains, la liberté d’expression et de l’Etat de droit. L’an dernier, c’est la jeune Pakistanaise Malala Yousafzai qui avait été décorée de cette distinction. Elle a reçu la semaine dernière le prix Nobel de la Paix.

« Docteur miracle » pour les femmes congolaises violées

« Depuis quinze ans, je suis témoin d’atrocités de masse commises sur le corps des femmes et contre les femmes et je ne peux pas rester les bras croisés, car notre humanité commune nous invite à prendre soin les uns des autres. »

C’est avec ces mots simples que le gynécologue congolais Denis Mukwege, récompensé mardi par le prix Sakharov, expliquait en décembre 2013 son engagement au service de dizaines de milliers de femmes de son pays, victimes d’une violence indicible et qu’il aide à se reconstruire. Agé de 59 ans, le Dr Mukwege aurait pu rester vivre et travailler en France après ses études. Il a fait le choix de retourner dans son pays, la République démocratique du Congo (RDC), et d’y rester aux heures les plus sombres.

Son combat pour la dignité des femmes, premières victimes des conflits qui ravagent l’est de la RDC depuis plus de vingt ans, l’expose au danger. Régulièrement menacé, il a échappé de peu un soir d’octobre 2012, grâce au sacrifice d’un domestique, à une attaque d’hommes armés venus chez lui pour le tuer. Né en mars 1955 à Bukavu, dans l’est de ce qui est encore le Congo belge, Denis Mukwege est le troisième fils d’une famille pentecôtiste de neuf enfants. Après des études de médecine au Burundi voisin, il revient dans sa ville natale pour exercer à l’hôpital de Lemera. Là, il découvre et vit au quotidien les souffrances de femmes qui, faute de soins appropriés, souffrent régulièrement de graves lésions génitales après un accouchement.

A la faveur d’une bourse, il part étudier en France pour se spécialiser en gynécologie-obstétrique à Angers. De retour à Lemera en 1989, il y anime le service gynécologique. Lorsque la guerre éclate en 1996 dans l’est du pays, l’hôpital est totalement dévasté. Le médecin vit alors comme un déplacé de guerre, côtoie la misère de ceux qui ont fui les combats. Il décide de fonder un hôpital dans le quartier Panzi, dans le sud de Bukavu, pour soigner les femmes victimes de la barbarie des différents groupes armés qui s’affrontent et saccagent l’est de la RDC, très riche en ressources naturelles, notamment minières. Il en est aujourd’hui le directeur et chirurgien en chef. « Ma première malade en 1999 avait été violée, puis on lui avait introduit une arme dans l’appareil génital et fait feu, elle avait tout le bassin détruit. Je pensais que c’était l’oeuvre d’un fou mais la même année, j’ai soigné 45 cas semblables », se souvient-il. L’hôpital de Panzi prend en charge gratuitement chaque année plus de 3.500 victimes de violences sexuelles et leur permet de bénéficier d’une chirurgie reconstructive.

Surnommé « Docteur miracle » pour toutes ces femmes à qui son combat obstiné permet de revivre après l’anéantissement et l’humiliation, le médecin est devenu célèbre bien au-delà des frontières de son pays.

Depuis quelques années, ce colosse débordant d’énergie est régulièrement récompensé en Europe et aux Etats-Unis pour son action. Il se sert de sa notoriété pour témoigner d’une voix douce de son empathie pour ses patientes et dénoncer le viol qui, « utilisé comme une arme de guerre, (…) détruit le tissu social, entraîne une perte d’identité collective, détruit toutes les croyances ». Marié et père de cinq enfants, responsable d’une église locale, le Dr Mukwege est un passionné de nature et de marche qui reconnaît « ne pas concevoir la guérison sans la participation de Dieu ».

L’attentat auquel il a échappé en 2012 l’a fait redoubler d’ardeur. Après s’être réfugié avec sa famille en Suède puis en Belgique, il rentre en janvier 2013 à Bukavu où des milliers de personnes l’accueillent chaleureusement. Il déclare alors être rentré pour dire « non à la violence sexuelle, non à la guerre ». Depuis le début de l’année, il a lancé un mouvement féministe masculin, V-Men Congo, et appelé à une « mobilisation générale » contre un nouveau fléau: les viols d’enfants et de bébés.

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