Juste avant son dernier meeting, en 2012, le candidat de l'UMP, avec son conseiller, Patrick Buisson. © É. GREGOIRE/REA

Le livre qui accable Nicolas Sarkozy

Sur près de 500 pages, son ancien conseiller sulfureux, Patrick Buisson, mêle anecdotes et réflexions pour raconter et démonter le quinquennat de Nicolas Sarkozy de 2007 à 2012. Où il est question de transgression, de manipulation et de Carla Bruni…

 » On me fait faire des émissions pour me rendre sympathique, mais ce n’est pas forcément ce que les Français attendent de moi. Ils s’en moquent, les Français, que je sois sympathique ! Ils veulent que je fasse le job. Est-ce qu’on demande à Rocco Siffredi d’avoir des sentiments ? Est-ce qu’on attend de lui des mots d’amour ? Non mais je m’excuse d’être vulgaire : Siffredi, son truc, c’est pas la bluette.  » Nous sommes le 8 mars 2007. Dans deux mois, Nicolas Sarkozy sera élu président de la République. Aujourd’hui, il est candidat et ce jeudi n’est pas un jour comme les autres. Le matin, il reçoit le soutien de Simone Veil. Le soir, il participe à une grande émission de télévision.

Dans son équipe, Patrick Buisson occupe un rôle particulier. Il raconte :  » Tu comprends, me disait (Sarkozy), j’ai besoin d’un acte fondateur, de quelque chose de transgressif, pour montrer que je ne suis pas sectaire, que je sais à la fois cliver et transcender les clivages. En 1981, Mitterrand a tout chamboulé avec sa proposition d’abolir la peine de mort. Contre l’avis de la majorité des Français. C’est ça, la référence. C’est ça qui a marqué les esprits.  » Mais, comme les transgressions auxquelles songe le candidat n’apparaissent aux yeux de Buisson que comme des  » génuflexions devant la doxa conformiste « , le conseiller pousse ses pions.  » Je vais te dire ce qui nous différencie des autres, lui glisse Sarkozy. C’est que toi et moi, on est des mauvais garçons.  »

C’est le genre de propos qu’il ne faut pas dire deux fois à Buisson. Le 1er mars, il a rédigé une note :  » La France des fragilités sociales représente plus de 60 % de la population. […] L’élection qui vient ne se gagnera pas au centre, comme le rabâchent les augures psittacistes qui t’entourent, mais au peuple.  » Il revient à la charge à plusieurs reprises :  » La crise identitaire est la souffrance de la sous-France.  » Sur France 2, le candidat annonce son intention de créer un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale. C’est un tollé.  » Le lendemain, écrit Buisson, consigne fut donnée par Sarkozy en personne de faire barrage aux appels de Simone Veil.  » Bientôt viendra la victoire, un peu plus tard, en septembre 2007, le nouveau chef de l’Etat décorera son conseiller de la Légion d’honneur. Plus dure sera la chute.

Place Beauvau : transgressions et manipulations

Décembre 2007. Le président français passe Noël à Louxor (Egypte) avec sa nouvelle compagne, Carla Bruni.
Décembre 2007. Le président français passe Noël à Louxor (Egypte) avec sa nouvelle compagne, Carla Bruni. © J. GUEZ/AFP

Patrick Buisson entame sa collaboration avec Nicolas Sarkozy en 2005, alors que celui-ci est ministre de l’Intérieur. C’est le temps du  » karcher  » et autres  » racailles « .  » La transgression langagière de Sarkozy était tout sauf un dérapage, écrit-il. C’était le fruit, sinon d’une analyse politique et sociologique sur la coupure entre le peuple et les élites, à tout le moins la volonté de retrouver un langage commun avec les catégories les plus exposées à la prédation. […] D’où ce choix de mots qui n’exhalaient pas la mauvaise conscience.  » Il note au passage – cela va constituer l’une de ses clés de lecture et le noeud de sa déception :  » Nicolas Sarkozy s’exposait du même coup à une tension croissante entre le dire et le faire.  »

En novembre 2005, les banlieues françaises s’embrasent. On apprend au passage que le ministre de l’Intérieur avait des informations ô combien sensibles qu’il ne communiqua pas.  » En réalité, affirme Buisson, le véritable déclencheur des émeutes n’était pas la mort des deux adolescents (à Clichy-sous-Bois), si traumatique fût-elle, mais les rumeurs selon laquelle des policiers avaient jeté une grenade lacrymogène dans la mosquée Bilal de Saint-Denis. Le premier – sinon le principal – ressort des émeutes était bel et bien la solidarité religieuse.  »

Quelques mois plus tard, le contrat premier embauche voulu par Dominique de Villepin, alors Premier ministre, suscite des manifestations importantes, dont une, le 26 mars 2006, se termine par des émeutes aux Invalides, à Paris. Buisson porte alors une accusation grave.  » Pour Nicolas Sarkozy, les Invalides furent l’équivalent d’Austerlitz pour Napoléon Bonaparte : son chef-d’oeuvre tactique, la seule bataille où il avait pu choisir le terrain, y amener l’ennemi et lui imposer son plan. A tout le moins s’il faut en croire l’histoire qu’il aimait à raconter en petit comité : « Nous avions pris la décision de laisser les bandes de blacks et de beurs agresser les jeunes Blancs aux Invalides, tout en informant les photographes de Paris Match de la probabilité de sérieux incidents. Nous avons tremblé à l’idée qu’il puisse y avoir un blessé grave. Mais, au fond, ça valait la peine d’endurer pendant une demi-journée les sarcasmes des médias. »  » Buisson complète :  » L’émotion fut en effet à son comble, après la publication dans la presse de photos dont l’opinion ne retiendrait qu’une chose : des hordes sauvages étaient entrées dans Paris.  » Le ministre de l’Intérieur assurera ensuite que  » force restera à la loi « , mais une nouvelle manifestation est organisée.  » Il était prévu que, dans un premier temps, les casseurs puissent s’ébrouer sans intervention de la police. « On les laissera faire leurs courses chez Darty et à Go Sport », avait intimé l’homme fort du gouvernement.  » Puis, la police intervient et Nicolas Sarkozy apparaît sur les lieux,  » fier de montrer, aux termes d’un scénario réglé au millimètre pour les caméras de télévision, à quel point il maîtrisait la situation face à un Premier ministre englué dans un affrontement mortifère avec la jeunesse « .

La fonction présidentielle et  » l’incontinence du moi  »

Le chapitre intitulé  » Feu le corps du roi » est l’un des plus terribles. Patrick Buisson, associant  » le narcissisme de Nicolas Sarkozy  » et  » le bonhomisme de François Hollande « , démontre que les deux chefs de l’Etat successifs  » auront revendiqué, chacun à sa façon, (la) logique de l’abaissement  » de la fonction présidentielle et déclenché  » un processus de privatisation du pouvoir « . Il pointe chez celui qu’il a servi  » le jubilé permanent de sa propre personne qui allait occuper l’essentiel de son mandat  » et dénonce  » la téléprésidence instantanée  » comme  » nouveau système élyséen (qui fait) système avec l’époque du tout à l’ego « . La séquence de Nicolas Sarkozy à Louxor avec Carla Bruni, en décembre 2007, l’amène à écrire qu’  » en pleine lune de miel, il sembla frappé d’une incontinence du moi plus grave qu’à l’ordinaire « . Depuis l’Egypte, le président appelle Buisson :  » Y a-t-il des photos ?  » Sa future épouse complète :  » Elles sont comment, les photos ?  » Deux jours plus tard, le chef de l’Etat interroge son conseiller :  » Crois-tu que notre histoire à Carla et à moi aura un impact favorable sur le moral des Français ?  »

Patrick Buisson dresse l'éloge de la droite anti-Taubira et salue
Patrick Buisson dresse l’éloge de la droite anti-Taubira et salue « un populisme chrétien ». Ici, la Manif pour tous, en 2013.© J. SCHULTS/REUTERS

Aujourd’hui, Patrick Buisson écrit :  » Sans doute pensait-il au fond de lui-même que l’actualité heureuse de sa vie sentimentale pouvait offrir un antidote à la morosité ambiante, sinon un remède à la dépression collective des Français. Il était, en revanche, incapable d’imaginer que ce spectacle pût être perçu pour ce qu’il était. Les verbatim recueillis par les enquêtes d’opinion rabattaient presque tous le politique vers le psychologique. Dans les versions élaborées, on dénonçait le triomphalisme phallique d’un adolescent attardé qui, après avoir subi l’affront public « du cocufiage et du lâchage » de sa seconde épouse, exultait de pouvoir s’exhiber au bras d’une trophy woman dont la seule présence était réputée marquer le prestige et la puissance érotique de celui sur qui elle avait jeté son dévolu. Quant aux versions plus rudimentaires, mieux vaut encore les taire aujourd’hui. En langage commun, cela se résumait en quelques mots : immaturité, indignité, infantilisme.  » Il ponctue son propos par la description d’une réunion de cabinet  » où Nicolas Sarkozy s’extasie sur le décolleté de son épouse et invite ses conseillers à faire de même « . Carla Bruni, avec sa  » crucifiante litanie comptable d’un manque à gagner que rien ne pourrait totalement combler quoi qu’il arrivât « , ses regrets de lui voir échapper des contrats  » mirifiques « , a, selon Buisson, beaucoup nui au quinquennat :  » Le chef né pour cheffer était en réalité un fragile séducteur subjugué par ses conquêtes, un faux dur submergé par un état permanent de dépendance affective, une âme malheureuse qu’habitait non pas le dur désir de durer, mais celui d’être aimé. Ce mâle dominant vivait sous l’empire des femmes.  »

 » Un césarisme sans César  »

A l’Assemblée nationale, un projet de loi sur les OGM est rejeté en seconde lecture. Nicolas Sarkozy l’annonce à ses proches : il a décidé de virer le secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement, Roger Karoutchi.  » Je suis à la tête de la France, je ne suis pas à la tête d’une équipe de copains.  » Exécution ! Il n’en fera rien. Buisson voit dans cet exemple parmi d’autres l’invention d’une figure,  » celle d’un césarisme sans César, d’un empire sans emprise, d’un autoritarisme enclin à des emportements à répétition qui le rendaient toujours plus incapable de se faire obéir. Quiconque travailla un tant soit peu avec lui fut amené, un jour ou l’autre, à en faire l’expérience : il menaçait, vitupérait, humiliait, vociférait, brandissait un sabre de bois, mais ne sanctionnait jamais, ou alors soit trop tard, soit à mauvais escient. […] Plus le volume de décibels était élevé, plus l’impunité du fautif pouvait être considérée comme acquise.  »

Au-delà de la gestion des hommes, Patrick Buisson reproche à l’ancien président et aux responsables publics dans leur ensemble d’avoir perdu le sens du  » sacré « . Il déplore  » la rémanence du mythe Kennedy : la notion selon laquelle la politique est une opération de séduction où l’on gouverne d’abord avec le corps a toujours été présente à l’esprit de Nicolas Sarkozy, y compris dans le choix de ses ministres « . Le 21 juin 2007 est composé le deuxième gouvernement Fillon. Le président à ses collaborateurs :  » Je sais bien que je suis le Tom Cruise du pauvre, mais enfin, Gérard Larcher ministre, ce n’est pas possible : il est trop laid ! Tandis qu’avec Rachida (Dati) et Rama (Yade), on va leur en mettre plein la vue.  »

Convictions et sincérités

A quoi croit vraiment Nicolas Sarkozy ? Où sont les sincérités de l’homme, où sont les convictions du président ? Pour Buisson, l’affaire est désormais entendue : ce fut  » un trader de la politique, un court-termiste qui avait le goût des allers et retours spéculatifs. Pour parler le langage des marchés, il ne se déterminait qu’au vu d’un possible retour sur investissement et d’une rapide prise de bénéfices « . Plus tard, il relève :  » Le drame de Nicolas Sarkozy tenait à l’absence de point fixe, au manque de repères qui lui eussent permis d’enclencher la marche arrière et de revenir à la croisée des chemins, à l’endroit où il s’était trompé de route.  »

Longtemps, Buisson plaide pour une aide massive à la  » France périphérique  » plutôt qu’aux  » quartiers sensibles  » :  » Intéressons-nous aux victimes de la discrimination négative, elles sont pour le moins dix millions. C’est moralement gratifiant et électoralement porteur « , dit-il à un Sarkozy qu’il croit séduit. A l’arrivée, le gouvernement, par l’intermédiaire de la secrétaire d’Etat en charge de la Politique de la ville, Fadela Amara, présente un plan Espoir banlieues.  » Sans doute fut-ce à ce moment-là que se noua l’échec du quinquennat de Nicolas Sarkozy : dans la dramatique inadéquation entre son fort tempérament instinctif et son irrépressible besoin de reconnaissance médiatique et affective. L’homme public, malgré l’appel qu’il sentait sourdre en lui, fut toujours contraint par l’homme privé, ses passions, ses désordres, ses coupables faiblesses pour l’air du temps et les fragrances de la modernité.  »

L’épisode de la réforme des régimes spéciaux de retraite conforte Buisson dans l’idée que  » l’écart ne cessait de se creuser entre le maximalisme de la campagne et le minimalisme de l’action, entre l’agressivité du verbe et la réalité d’un pouvoir prêt à négocier sur tout  » :  » L’essentiel était de produire l’illusion du changement. […] Parler c’était agir, dire c’était faire ou plutôt faire croire. Séance inaugurale du quinquennat, la grève de novembre 2007 ne laissait que trop présager ce qu’allait être le volontarisme sarkozyen : un moteur à deux temps fonctionnant au mélange d’un discours dur et d’une pratique molle.  »

Les attaques sur l’immigration ne sont pas les moins violentes. L’auteur prend un malin plaisir à rappeler, contre les affirmations martelées chaque jour par les sarkozystes, que le nombre de régularisations d’étrangers en situation irrégulière fut proportionnellement plus important sous la présidence de Nicolas Sarkozy que sous le gouvernement du socialiste Lionel Jospin. Il révèle aussi qu’en 2011, la Commission européenne demande s’il faut modifier la directive sur le regroupement familial : la France présidée par Nicolas Sarkozy (qui fait aujourd’hui de la suspension du droit au regroupement familial l’une des mesures phares de sa campagne pour la primaire) répond qu’elle n’est pas favorable à une révision du cadre actuel.

2012 :  » J’ai de quoi faire exploser DSK en vol  »

Pour l’élection présidentielle de 2012, Nicolas Sarkozy a choisi son adversaire, c’est Dominique Strauss-Kahn. Car il n’ignore pas grand-chose de lui.  » Ce type est un dégoûtant personnage, expose le président à ses proches. Il n’aime pas les femmes, mais le sexe. Faites-moi confiance. J’ai de quoi le faire exploser en plein vol.  » Patrick Buisson précise :  » Selon les jours, il évoquait une mystérieuse affaire à Marrakech ou une triviale histoire de « parties fines » à Lille, s’excusant à chaque fois de ne pas pouvoir nous en dire davantage.  » C’est pourquoi, au lendemain du Sofitel, Sarkozy, quand il reçoit ses conseillers à son domicile, a  » la mine des mauvais jours  » : DSK est hors course, or il fallait d’abord qu’il soit candidat avant que les scandales ne le rattrapent…

La suite ressemblera à un long calvaire. Nicolas Sarkozy, qui s’est bâti sur son énergie, qui était capable, en cours de mandat, de lancer au président américain  » Tu te rends compte, Barack, c’est nous les deux métèques qui allons débloquer la situation « , donne soudain  » l’impression d’avancer à reculons vers sa candidature « , note Buisson. En février, il  » nous fit part de sa volonté de voir sa femme s’engager « fortement » dans la campagne. Il s’imaginait remontant la salle au bras de Carla jusqu’au proscenium « . Il en fut dissuadé. Pour la confection de son projet, le président sortant donne un mot d’ordre :  » Je me fous de savoir si c’est applicable, c’est une élection, il faut me sortir des propositions fortes.  »

 » La droite qui défile  » et  » la droite qui se défile  »

La Cause du peuple. L'histoire interdite de la présidence Sarkozy. Perrin, 464 p.
La Cause du peuple. L’histoire interdite de la présidence Sarkozy. Perrin, 464 p. © DR

Patrick Buisson consacre de très longues pages au corpus idéologique de la droite,  » ce grand cadavre à la renverse « , selon le titre du chapitre le plus charnu du livre. Point de départ : la crise financière de l’Etat-providence, lequel se trouve désormais critiqué non plus  » par les classes aisées, mais par la France d’en bas « . Il constate  » l’unité philosophique du libéralisme économique et du libéralisme culturel  » et en tire une conclusion :  » Ce retour du libéralisme vers sa source originelle s’accompagne d’un chassé-croisé sociologique. Tandis que la bourgeoisie néolibérale – les bobos du centre-ville – enfin délivrée de la crainte du communisme par la chute de l’empire soviétique, rallie massivement une gauche dont l’offre politique concilie désormais au mieux ses intérêts de classe et ses exigences en matière de libération des moeurs, les catégories populaires s’engagent dans un processus de désaffiliation qui les conduira à emprunter le chemin en sens inverse et à passer du vote socialiste ou communiste à un vote de droite ou populiste. Grand bénéficiaire, en 2007, de ce système de vases communicants, Nicolas Sarkozy appartenait pourtant par son histoire davantage à la famille libérale qu’au conservatisme émergent qui l’avait hissé jusqu’au pouvoir. L’ambiguïté s’avérait lourde d’un malentendu, le malentendu d’une méprise.  »

Dressant l’éloge de la droite anti-loi Taubira sur le mariage pour tous, Buisson salue  » un populisme chrétien, renouvelant ou actualisant les fondements théoriques du conservatisme  » et oppose  » la droite qui défilait  » et  » la droite qui se défilait « . Là est pour lui le nouveau clivage,  » entre une droite spiritualiste essentiellement préoccupée par les valeurs, prioritairement soucieuse de circonscrire le pouvoir de l’argent à la sphère des échanges, et une droite matérialiste pour qui les intérêts étaient le véritable et quasiment l’unique moteur de toutes les actions humaines « .

Lui qui dit s’être opposé au débat sur l’identité nationale lancé par Nicolas Sarkozy en 2010 ( » Tu n’as pas été élu pour organiser des débats « ) explique également pourquoi il a fait des  » frontières  » l’axe majeur de la campagne de 2012.  » Poser la question de l’insécurité culturelle revient immanquablement à s’interroger sur le rôle de l’immigration dans la destruction de l’identité nationale. C’est ce questionnement que la classe politique a refoulé tant qu’elle a pu. Jusqu’à ce que les faits la rattrapent et viennent illustrer la cristallisation d’une crise collective identitaire comme unité de sensibilité du pays. […] Un refus d’une dépossession de soi, une révolte sourde et désespérée devant la perspective de devenir autre chez soi, étranger sur son propre sol, et de se découvrir un jour minoritaire dans un environnement autrefois familier, mais dont on aurait progressivement perdu la maîtrise.  »

Paroles publiques, propos privés

Il serait injuste de dire que Nicolas Sarkozy a ce monopole-là : souvent homme politique varie, selon qu’il parle d’une même personne en public ou en privé. Mais comme il a, plus que les autres, le sens de la formule, l’ancien président français fait montre d’un talent particulier en la matière.

Jacques Chirac n’a ainsi pas toujours eu droit à un hommage respectueux de sa part. La première fois qu’il accueille Buisson dans son bureau de l’Elysée, au lendemain de son élection, Sarkozy a ces mots : « Je la laisse vide, me dit-il en montrant la place qu’occupait rituellement Jacques Chirac sur le grand canapé. Son esprit l’habite, ajouta-t-il. C’est dire si je ne vais pas être trop encombré.  » En 2011, quand l’avocat Robert Bourgi affirme avoir remis des millions de francs à Chirac, Sarkozy se lâche : « Chirac aura été le plus détestable de tous les présidents de la Ve. Franchement, je n’ai jamais vu un type aussi corrompu. Un jour, il a voulu me faire signer un contrat avec l’Arabie saoudite. Je me demande encore comment il a osé me mettre ça sous le nez. Il en a tant fait qu’il était fatal que ça lui pète à la gueule. J’ai rarement rencontré quelqu’un d’aussi méchant et avide. »

François Fillon, on le savait, n’a pas toujours eu droit à des éloges de la part de celui qui l’a nommé Premier ministre. Qu’il inaugure une mosquée à Argenteuil le 28 juin 2010, et cela donne dans la bouche du chef de l’Etat : « Pauvre type, minable… Tant qu’il y est, il n’a qu’à venir mercredi au conseil des ministres en babouches et avec un tapis de prière ! » Ailleurs, Buisson relève à propos des commentaires de Nicolas Sarkozy sur son chef de gouvernement : « A l’en croire, le refoulement était la clé psychologique de (ses) oscillations comportementales. »

François Baroin, aujourd’hui annoncé comme Premier ministre en cas de victoire en 2017 ? « Je l’ai acheté à la baisse. Trop cher, je te le concède, pour un second rôle. » Xavier Bertrand, ancien ministre et président du conseil régional des Hauts-de-France ? « C’est un méchant. Dix ans à essayer de placer des assurances en Picardie, dix ans à taper aux portes et à se prendre des râteaux, ça a de quoi vous rendre méchant pour le restant de vos jours. C’est d’ailleurs pour ça que je l’avais choisi. » Etre un fidèle n’est pas gage d’obtenir un jugement clément – « cet abruti d’Estrosi qui a une noisette dans la tête ».

D’Angela Merkel, il disait en plaisantant : « Je suis la tête, vous êtes les jambes ! » On n’ignore désormais plus la réponse de la chancelière : « Nein, je suis la banque.  »

Par Éric Mandonnet.

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