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Le geste très moderne d’un pape conservateur

Muriel Lefevre

La démission du pape est une énorme surprise. Ce qu’il y a de plus ironique dans cette décision, c’est que c’est un geste d’une étonnante modernité pour un pape aussi conservateur. Mais pourquoi Benoît XVI démissionne-t-il ? Tentative de réponse du journaliste Knack Walter Pauli.

La démission d’un pape est-elle courante ?

Non, c’est même très inhabituel. La dernière démission d’un pape remonte à 1294. C’était Célestin V. Ce dernier fut proclamé pape à un âge très avancé et vivait reclus depuis plusieurs années. S’il a été choisi, c’est parce qu’il était un candidat issu d’un compromis entre les différentes puissantes familles de Rome. L’homme semblait complètement inapte à la fonction et il ne se trouvait, selon ses propres dires, pas à la hauteur de la tâche. Après 6 mois, il jette l’éponge et démissionne de son plein gré.

Cette décision fut appréciée par de nombreux cardinaux, mais ne trouva pas grâce auprès de ses contemporains. Dante lui-même prit cette démission comme un affront et dans la Divine Comédie il envoya le pape démissionnaire en enfer. Son successeur Boniface VIII ne fut pas plus clément et le fit emprisonner. Ce qui ne l’empêche pas d’être sanctifié quelques années plus tard. Depuis cet épisode, il n’en reste pas moins tabou pour un pape de démissionner. Ce n’était pas à proprement parler interdit, mais aucun pape ne s’y était risqué jusqu’à aujourd’hui. Le simple fait d’évoquer la question relevait déjà de la gageure puisque cela pouvait être vu comme une attaque contre le pape en place.

Pourtant, il existe quelques papes qui ont vu la fin de leur pontificat sans mourir pour autant. En 1415 lors du grand schisme d’occident, la tête de l’église se trouvait dans une position particulièrement délicate. Le schisme avait eu pour conséquence que deux papes régnaient sur le monde catholique. L’un s’était établi à Rome et un autre à Avignon. Au début du quinzième siècle lors du concile de Pise, on souhaite retourner vers un pape unique. L’opération échoue puisqu’aucun des deux papes ne veut démissionner et l’on se retrouve de facto avec trois papes. Devant cette situation insolite, Grégoire XII décide de remettre sa tiare pontificale pour permettre la fin du grand schisme d’occident. Grand bien lui en prit, car là où les autres furent excommuniés, lui redevint cardinal.

Napoléon n’avait guère plus de respect pour le pape de son époque. Il invita ce dernier pour son couronnement (pensant mettre lui-même sa couronne sur sa tête pour encore davantage humilier le pontife). Flairant le piège, Pie VII fit rédiger avant son départ un acte de démission au cas ou Napoléon le garderait prisonnier. Dans ce cas bien précis, le pape ne serait plus pape, mais seulement un simple moine. Un nouveau concile élirait alors un nouveau pape. Napoléon bannit alors régulièrement le pape hors de Rome et le fit arrêter quelquefois. L’empereur ira même jusqu’à rassembler lui-même un concile. Celui-ci se retourna néanmoins contre lui puisque les cardinaux votèrent la libération du pape. L’ironie de l’histoire, c’est que Napoléon finit banni d’abord sur l’île d’Elbe et ensuite à Sainte Hélène. Le pape qui avait voulu démissionner s’en retourna à Rome auréolé de son nouveau prestige.

Malgré ces quelques faits marquants, le sujet de la démission du pape reste très délicat au sein de l’église. Il en fut déjà question lors du précédent pontificat. Le pape qui, malgré son grand âge et des soucis de santé récurrents, voulait à tout prix finir son mandat. Certains cardinaux en parlaient très ouvertement à l’époque, mais le pape était persuadé que ces souffrances physiques faisaient partie de la croix qu’il lui fallait porter. Jusqu’à sa mort, à l’âge de 85 ans, il resta donc pape. Dans ce contexte, la démission de Benoît XVI est donc une réelle surprise. Jusqu’à hier, aucun grand média ne spéculait sur cette éventualité.

Pourquoi le pape Benoît XVI démissionne-t-il ?

Il y aura des raisons officielles et d’autres plus officieuses, mais le fait est là : le pape est trop vieux pour encore assumer sa tâche. Un pape doit avoir suffisamment de condition physique et mentale pour remplir ses fonctions. Il a été dit sur Twitter qu’un groupe de pression très conservateur avait joué des coudes pour que le pape démissionne, mais c’est bien entendu une rumeur récurrente dans les couloirs du Vatican. Et le tamtam des rumeurs ne va faire qu’enfler dans les prochaines heures et il n’est jamais aussi vif qu’à l’occasion de ce genre d’évènements aussi capitaux qu’inattendus. Ce qui risque de sortir dans les prochains jours sont des théories où il sera question d’islam (un pape plus jeune qui va offrir à cette église progressiste un chef plus militant), sans parler des rumeurs financières et – pourquoi pas – de scandales sexuels. Il y aurait tout à fait moyen de remporter des fortunes si l’on pariait sur le nombre de fois que le mot Opus Dei sera prononcé. Le fin mot de l’histoire restera probablement encore quelque temps secret. Mais le fait qu’il y ait « quelque chose » derrière cette démission, tout le monde le sait déjà.

Que doit-on retenir de Benoît XVI?

Il a perpétré la mission lancée par son prédécesseur qui consistait à faire passer certaines réformes qui visaient à moderniser l’église. Mais il y a un dossier sur lequel il n’aura pas brillé, c’est celui des scandales sexuels au sein de l’église. Il est pour une approche plus musclée du problème et plus d’ouverture. Mais quand il a fallu agir – cf l’affaire Roger Vangheluwe – cela fut noyé dans le brouillard. Mais peut-être que déjà à l’époque, il lui manquait l’énergie nécessaire pour mener ce genre de combat. Le fait de démissionner en tant que pape n’était jusqu’à présent pas une option. En posant ce geste, il ouvre la voie pour ses successeurs. Le pape donne, grâce à sa dernière décision, un signal fort comme quoi le changement est possible. Les dogmes ne sont pas inscrits dans la pierre. Tout peut être soumis au changement. L’église aussi. Benoît XVI démontre que le pape peut être un décisionnaire de son temps. Dans cette optique, sa démission est l’acte le plus moderne de son pontificat.

EE/ Trad ML

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