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« Le football n’est pas l’opium du peuple »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Pascal Boniface est un expert renommé de la géopolitique mondiale. Un amoureux de football, aussi. Conscient de l’importance prise par le sport-roi, il multiplie les études consacrées à son impact extra-sportif. Non, dit-il, le football n’annihile pas la résistance des peuples.

Le Vif/L’Express : Il y a une conscience de plus en plus grande de la dimension politique du football. Dans votre dernier livre, Géopolitique du sport, vous expliquez qu’il s’agit désormais d’un facteur important de la « soft power » des pays dans les relations internationales. C’est un outil de pouvoir ? Pascal Boniface : Oui. C’est un divertissement qui enchante le monde et une passion qui fédère les énergies, mais c’est aussi un instrument de puissance, de rayonnement et de prestige pour les Etats. Le sport a pris une importance médiatique et sociétale phénoménale depuis que la télévision a construit des stades dont la capacité est illimitée. On disait à l’époque de Charles-Quint que le soleil ne se couchait jamais sur son empire, c’était faux. Par contre, c’est vrai pour le football. Cette invention britannique est d’ailleurs le seul empire qui s’est construit grâce à l’enthousiasme des peuples conquis. C’est un empire universel, pacifique et festif.

Cette Coupe du monde au Brésil est toutefois pleine de contrastes : c’est le pays du football, la pression est forte pour que le Brésil l’emporte, mais le climat n’est pas très serein, l’agitation sociale y est importante. Est-ce choquant d’implanter un tel divertissement, coûteux, dans un pays qui souffre ?

La pression est toujours forte pour que le Brésil l’emporte, parce que, pour les Brésiliens, ne pas gagner la Coupe du monde est l’anomalie. Elle est d’autant plus forte que le drame national de 1950 est toujours présent, quand le Brésil avait perdu en finale contre l’Uruguay, lors du seul Mondial organisé chez lui.
En ce qui concerne le climat social, cela démontre que le football n’est pas l’opium du peuple. On peut à la fois aimer ce sport et émettre des revendications fortes. La meilleure preuve, c’est qu’en 2002, la victoire du Brésil n’a pas empêché l’élection deux mois plus tard de Lula, un candidat de l’opposition radicale.

Cette Coupe du monde a été attribuée au Brésil en octobre 2007, à un moment où la croissance économique était forte, elle est atone depuis deux ou trois ans. Une classe moyenne importante s’est constituée qui demande plus de libertés et de droits. Ce n’est pas un phénomène propre au Brésil mais qui vaut dans tous les pays émergents, en Turquie, en Thaïlande, à la limite en Russie aussi, même si la situation en Ukraine a conforté Poutine…

Il y a eu en outre des erreurs d’appréciation tant de la part du pouvoir brésilien que de la FIFA. Cette dernière demandait dix stades, les Brésiliens ont voulu en construire douze. La FIFA a interdit l’économie informelle autour des stades et donné l’impression que l’on expropriait les Brésiliens de leur Coupe du monde. Enfin, on n’a pas profité de cet événement pour construire des infrastructures indispensables en matière de transports communs, ce qui a accru le sentiment de dépossession.

La Belgique est enfin de retour à la Coupe du monde après douze ans d’absence. Cela n’a pas empêché un parti nationaliste flamand d’emporter les élections législatives. Comment analysez-vous cela, de l’extérieur ?

Avant, on affirmait que ce qui gardait les Belges ensemble, c’était la monarchie et les Diables Rouges. Aujourd’hui, les Diables Rouges me semblent bien plus fédérateurs que la monarchie. C’est une équipe qui joue bien, sympa, c’est le voisin de la porte d’à côté à qui on peut aller demander du sel sans se faire jeter. Et ils se considèrent comme Belges !

Là non plus, je ne pense pas qu’un beau parcours des Diables Rouges règlera tous les problèmes de la Belgique, mais il permettra peut-être de faire réfléchir certains. Ce pourrait être un levier pour dire que la Belgique est une nation et pas un somme de communautés agrégées artificiellement.

La France et la Belgique ont des problèmes comparables avec la montée des populismes, de la xénophobie… Dans les deux cas, nos équipes présentent un visage diversifié, de par la couleur et l’origine des gens qui la composent. Ils sont respectueux, ouverts. Chez vous comme chez nous, l’équipe de football n’est ni un placebo ni un remède miracle. C’est un instrument dont on peut se servir pour montrer que l’on peut vivre bien, ensemble, et pour redonner confiance. Tout simplement. Cela n’empêche évidemment pas que nos responsables politiques doivent faire leur job.
L’argent fou du football n’est-il pas écoeurant ?

C’est une question centrale, en effet, mais les critiques qui s’expriment sont davantage d’ordre social que financier. Pour certains, la critique de l’argent fou dans le football n’est qu’un prétexte pour critiquer le football lui-même, qui serait une passion débile, occupant une place illégitime dans la société. Tant en Belgique qu’en France, une certaine élite a longtemps considéré que l’on ne pouvait pas être intellectuel et s’intéresser au sport. A ce mépris traditionnel est venu s’ajouter la jalousie puisque ces footballeurs sont devenus non seulement célébrissimes mais aussi richissimes, sans avoir fait d’études. Pourquoi ne critique-t-on pas les acteurs, les chanteurs ou les stars en général ?

Cet argent n’est jamais que le reflet du capitalisme. Personne n’est obligé de s’abonner à une chaîne de télévision payante pour regarder du football, ni de dépenser 120 euros pour acheter le maillot d’une équipe. Ce n’est pas un dictateur qui l’impose, c’est l’expression du libre choix des gens.

Propos recueillis par Olivier Mouton, à Paris.

L’intégralité de l’entretien dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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