Thierry Fiorilli

Le droit d’avoir peur, le devoir d’y répondre

Thierry Fiorilli Journaliste

C’est, encore, Michel Houellebecq qui a allumé le débat. En répliquant à une question toute simple du Guardian, il y a dix jours. Le quotidien britannique lui demandait :  » Etes-vous islamophobe « . L’auteur de, notamment, Soumission,a répondu :  » Probablement, oui. Mais le mot  » phobie  » signifie  » peur  » plutôt que  » haine « .

Quelques jours plus tôt, dans L’Express, André Comte-Sponville n’avait pas dit autre chose. Mais sans que ses propos ne soient autant amplifiés. Le « philosophe du bonheur » évoquait « la question de l’islam et de l’islamophobie. Cette dernière notion est piégée à force d’être équivoque. Si l’on entend par  »islamophobie » la haine des musulmans, c’est une forme de racisme comme une autre. Mais si le mot désigne la peur de l’islam – ce qui est le sens propre du terme islamophobie -, c’est une position idéologique légitime. »

C’est aussi, très certainement, le sentiment qui anime une part toujours plus croissante des populations occidentales. Hors les militants d’extrême droite, hors les porteurs de convictions viscéralement abjectes, hors les récupérateurs opportunistes qui cultivent dès lors une ambiguïté particulièrement malsaine (la N-VA en est la plus désolante incarnation en Belgique, comme le sont en France Nicolas Sarkozy et sa garde rapprochée), c’est la peur de l’islam et donc des musulmans qui enfle. La peur, l’angoisse ou la psychose, selon les cas, les générations peut-être, les lieux sans doute.

Et, tout aussi certainement, c’est une émotion légitime et compréhensible. Légitime, parce que la peur est un droit, qu’elle n’est pas une tare et encore moins un délit. Compréhensible, parce que l’extension spectaculaire de l’intégrisme islamique et les images qu’il véhicule (femmes fantômes, lapidations, décapitations, massacres, anéantissements de villes, destructions de monuments historiques, attentats, guerres…) peuvent évidemment déclencher une authentique terreur, à des degrés divers, auprès de ceux qui assistent à ces réalités depuis désormais des années, sans que personne ne puisse les rassurer en démontrant que le « phénomène » est, au pire, sous contrôle, au mieux, en recul flagrant.

Personne ne peut blâmer quiconque de trembler devant des horreurs qu’on dit dictées par l’islam

Autrement dit : personne ne peut reprocher à quiconque de trembler devant des horreurs que leurs auteurs justifient par leur foi en l’islam. Personne ne peut le sous-estimer, personne ne doit le blâmer, personne n’est en droit de le ridiculiser. Comme plus personne, parmi les autorités (quelles qu’elles soient), les experts et les médias, ne peut encore l’ignorer. Oui, la peur se propage. Oui, c’est la peur de l’islamisme qui engendre, chez certains, la peur de l’islam. Oui, c’est cette peur qui nourrit les amalgames. Oui, ce sont ces amalgames qui nourrissent la peur des migrants, des réfugiés, des candidats à l’asile. Et, oui, c’est cette peur-là qui déclenche le réflexe de protection avant le geste hospitalier. Qui fait prédominer la nécessité d’endiguer coûte que coûte ce qui apparaît comme une invasion, reléguant loin, très loin, l’empressement à accueillir décemment ceux qui, en réalité, fuient les responsables des mêmes terreurs.

Pour autant, entendre cette inquiétude collective ne suffit pas non plus. Encore faut-il, mieux vaut tard que jamais, y apporter des réponses intelligibles, tangibles, honnêtes, cohérentes. Les précédents gouvernements, pour des raisons souvent clientélistes, ne l’ont que peu ou mal fait. L’actuel exécutif, pour des motifs électoralistes, et pris au piège de ses alliances avec la N-VA, ne le réussit pas mieux. Et Charles Michel a beau prêcher la bonne parole, il ne s’y plie, systématiquement, que pour contrebalancer les propos indécents de deux des trois partis qui forment la coalition avec le sien.

Ses mots ne suffiront pas à atténuer la peur. Sa majorité, elle, jusqu’ici, donne plutôt l’impression de vouloir l’entretenir. Et donc, par la bande, risque bien de contribuer à une radicalisation générale.

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