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Le djihad de Muriel: « Je pourrais te couper en morceaux, monsieur Chris »

Le journaliste du magazine Knack, Chris De Stoop, décrit dans son dernier livre comment il est tombé dans le piège tendu par un salafiste à Bruxelles. Il l’a rencontré alors qu’il était sur la piste de Muriel Degauque, la première femme européenne auteur d’un attentat suicide.

Dans le livre « Vrede zij met u, zuster. De jihad van Muriel » , (Paix ma soeur, le djihad de Muriel), Chris De Stoop suit la trace de quelques djihadistes en Syrie et en Irak, dont celle de Muriel Degauque, la première femme européenne auteur d’un attentat suicide. Lors de ses recherches, un homme l’appelle et se présente. C’est un salafiste qui aurait connu Muriel. Chris De Stoop raconte ce rendez-vous quelque peu angoissant et surréaliste. Mais aussi d’autres rencontres qui l’auront particulièrement marqué. Extraits.

« Je pourrais te couper en morceau et te mettre dans ces sacs »

C’est l’une des dizaines de personnes que j’ai contactées lors de mes recherches sur Muriel. Je rencontre cet homme à Bruxelles, dans l’un de ces quartiers qui rappellent que l’on n’est pas seulement dans la capitale de l’Europe, mais aussi dans celles des inégalités. Là où les immigrants les plus pauvres vivent à un jet de pierre des plus riches eurocrates. Je rencontre l’homme dans un magasin rempli de paquets et de sacs. Il porte une belle barbe fournie et une djellaba blanche. Il se place derrière moi et me demande pourquoi je suis sur les traces de Muriel? Et précise calmement : « Monsieur Chris, je pourrais te tuer ici. Monsieur Chris, je pourrais te couper en morceau et te mettre dans ces sacs »… Lorsque je le regarde, je vois la froide détermination dans ses yeux. Un homme du genre à faire ce qu’il pense et à penser que ce qu’il fait est juste. « Mais je préfère ne pas devoir le faire » précise-t-il enfin. « Je vais donc rester poli si tu écris une lettre qui dit que tu regrettes. » Je ne m’en sors qu’avec la promesse écrite que je ne les importunerais plus avec mon livre.

Face à la lettre

Il y a longtemps que je n’avais pas écrit une lettre aussi vieux jeu que dans ce magasin bruxellois. Après les formules de politesse d’usage, j’ai indiqué, comme demandé par le salafiste, « par cette lettre je déclare ne plus prendre contact avec vous, que ce soit par poste, email ou par téléphone. » J’ai tout de même dit à mon hôte que je ne pouvais décemment ajouter que « je serais dans le cas contraire responsable de suites que cela aurait sur mon existence ». C’était comme lui donner un accord moral pour me tuer. Après quelques tractations, on arrive néanmoins à un consensus. « De l’eau ou du jus d’orange ? » me demande-t-il soudain. La collation bue, il me raccompagne à la porte. « Vous pouvez bien sûr toujours me téléphoner si vous souhaitez acheter de la marchandise. » Comme si tout ceci n’avait été qu’une transaction commerciale. Même lorsqu’il suggère qu’il peut me couper en morceau. Il me serre la main, mais le regard ne s’est pas réchauffé d’un iota. « Paix à vous monsieur Chris, soyez mon hôte dans l’adieu ».

Le docteur Khawla

A l’époque où je m’y rends, la ville frontalière turque d’Antakya grouille de rebelles, d’espions et de marchands d’armes. On voit déjà clairement les djihadistes d’Europe affluer en masse. Cette ville sert de base arrière aux combattants syriens. Ils peuvent s’y reposer et rencontrer leur famille. Des dizaines de milliers de réfugiés s’y retrouvent coincés dans des conditions déplorables, car la Turquie n’autorise plus leur venue. À 50 kilomètres, la guerre gronde à Alep. J’accompagne le docteur Khawla dans une pension transformée en hôpital de fortune pour les victimes de la guerre en Syrie. En me guidant à travers les petites chambres qui débordent de blessés, elle me raconte que « la guerre en Syrie a radicalisé beaucoup de jeunes, comme l’avait fait celle d’Irak. Mais ici cela prend des proportions jamais vues auparavant. » Dans la chambre 17, un jeune à moitié paralysé me dit « nous voulons être des martyrs, nous voulons aller au paradis ». C’est pour cette raison qu’il souhaite retourner le plus rapidement possible au front. Les autres blessés de la chambre se contentent d’ajouter « Allah Akbar ».

Rejoindre Alep en voiture de location

De retour à Bruxelles, je rencontre Rashid non loin de la basilique de Koekelberg. Il vit ici depuis 25 ans, mais cela ne l’a pas empêché de partir il y a peu de temps avec une voiture de location vers Alep pour rejoindre son frère qui dirige un groupe de combattant. Ce n’est pas la première fois qu’il fait le trajet. Il comprend pourquoi de jeunes djihadistes se rendent là-bas, « ils voient d’un côté une violence aveugle entre civils et d’un autre le monde qui s’en moque et qui n’offre pas la moindre aide. Ils sautent donc dans leur voiture pour leur venir en aide. »

L’imam et le courage du désespoir

Un Imam qui a rendu visite à des parents de combattants abattus me raconte qu’il s’agissait souvent de jeunes qui connaissent des problèmes personnels psychiques ou sociaux. Leur plus important soutien vient de la fraternité qui existe dans ces groupes. « Ils transforment leur faiblesse en djihad. Cela demande beaucoup de courage. Mais c’est souvent le courage du désespoir ». Et cela les attire comme un aimant. Un rapport des Nations Unies de novembre 2014 fait état de 15.000 étrangers partis combattre en Syrie et en Irak. Les choses changent. Pour beaucoup, il ne s’agit plus de venir en aide aux populations, mais bien du pouvoir d’attraction du djihad. Dans certains cercles on peut même parler d’une véritable tendance. Les endroits que j’ai visités il y a quelque temps lors de mes recherches sur Muriel font presque tous aujourd’hui partie de l’État islamique. Ce qui aurait surement plu à Muriel. Lorsqu’elle s’est rendue en Irak, d’importants territoires étaient déjà aux mains d’Al Qaeda, mais cela ne faisait pas grand bruit à l’époque. Ce n’est que le 29 juin 2014 que le khalife Abu Bakr al-Baghdadi, l’ancien leader d’Al Qaeda en Irak, se déclare officiellement de l’État islamique.

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