Christian Makarian

« Le conflit syrien n’en finit pas d’agir comme une bombe à fragmentation »

Le groupe Etat islamique vit-il ses derniers mois au Moyen-Orient ? En Irak, où se prolonge le siège de Mossoul, comme en Syrie, où se profile une phase décisive pour la prise de Raqqa (capitale revendiquée du groupe Etat islamique), la nécessité de défaire Daech par les armes a atteint un degré d’urgence.

C’est avec le désir d’en finir au plus vite que, le 8 mai, Donald Trump a autorisé l’armée américaine à  » équiper  » les milices kurdes YPG (Unités de protection du peuple kurde). Les combattants kurdes vont recevoir des armes légères, des véhicules blindés et l’armement nécessaire à la conquête d’une place défendue avec fanatisme.

Cette alliance tactique, qui paraît cohérente avec la volonté américaine de ne pas s’engager de façon directe ni durable dans cette région, s’avère néanmoins lourde de conséquences. Il est un fait que les Kurdes de Syrie ont montré leur bravoure au combat, notamment lors de la reprise de Kobané, dans le nord du pays, le long de la frontière turque, de janvier à juin 2015. Après cette nette défaite du groupe Etat islamique, les hommes des YPG sont devenus des auxiliaires indispensables aux efforts de la coalition contre Daech. Mais leur rapprochement avec les intérêts américains déclenche la colère du plus puissant allié militaire de Washington au Moyen-Orient, à savoir la Turquie. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, ne cesse de proclamer que les YPG sont une branche du PKK, l’organisation armée qui combat le gouvernement d’Ankara de façon sanglante (les Etats-Unis et l’Union européenne l’ont classée parmi les mouvements terroristes). C’est pour ménager les Turcs que Barack Obama dispensait au compte-gouttes son soutien aux Kurdes ; c’est avec de tout autres considérations que Trump a décidé de passer outre. Avec le risque d’une extension du conflit.

Quelles que soient les conditions de la prise de Raqqa, celle-ci se paiera au prix fort. On devine l’engrenage qui pourrait se dessiner en vue de la création d’une entité territoriale entre Kurdes de Syrie, de Turquie et d’Irak (pays où les combattants kurdes, les peshmergas, ont gagné leur indépendance de facto). Certes, on est encore loin de l’unité : les dissensions entre les différentes ethnies et factions kurdes continuent de produire des intérêts fortement divergents. Mais il faut mesurer un autre facteur : pour des raisons froidement différentes, la Russie aussi soutient les Kurdes. Dans son acharnement à détruire l’opposition syrienne, Bachar al-Assad a noué avec ces derniers une alliance objective qui leur laisse les mains libres dans le nord du pays, où ils empêchent les rebelles au régime de Damas de s’implanter. L’appui de Washington aux Kurdes de Syrie rejoint ainsi les objectifs que poursuit Moscou… Le conflit syrien n’en finit pas d’agir comme une bombe à fragmentation.

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