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Le conflit libyen, cet écran de fumée qui plait à l’Iran

Lors des célébrations pour le Nouvel An Nourouz, le pouvoir iranien appelle à une « guerre sainte » économique contre l’Occident, sur fond de polémique contre les frappes aériennes en Libye. Coup de projecteur sur un régime qui reste intouchable, malgré son isolement économique.

Le Nouvel An iranien, l’année 1390, sera « celle du Jihad économique ». C’est la dernière pique lancée aujourd’hui par l’ayatollah Ali Khamenei. Dans un message à la population diffusé par la télévision d’état, le guide suprême du régime iranien a déclaré que « les sanctions économiques imposées visent à empêcher notre progrès, même s’ils n’ont pas réussi à atteindre leurs objectifs » et a appelé le pays à « déjouer les complots ennemis ».

Est-ce vrai que les mesures adoptées par les Nations Unies n’ont pas affaibli l’économie de Téhéran ? Pas exactement. D’après les chiffres publiés par le dernier Bilan Géostratégie du Monde, les sanctions, qui visent à la fois les secteurs pétrolier, gazier et pétrochimique, ainsi que l’accès au crédit bancaire, ont eu un effet dissuasif. En 2009, selon Eurostat, les importations de l’Union européenne en provenance d’Iran ont diminué de 45% et ses exportations de 9%. Fin septembre 2010, de grands groupes pétroliers mondiaux (le français Total, l’anglo-néerlandais Shell, l’italien Eni, le norvégien Statoil et en octobre le japonais Inpex) se sont retirés d’Iran pour éviter de subir indirectement les sanctions américaines promulguées en juillet. La construction automobile a, elle, été touchée par le retrait du sud-coréen KIA.

Téhéran fait la loi, malgré tout

Pour rappel, ces mesures ont pour but de forcer l’Iran à négocier autour de son programme nucléaire, soupçonné de comporter un volet militaire développé clandestinement. En décembre 2010, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, ainsi que l’Allemagne, ont rencontré à Genève des représentants iraniens pour tenter de trouver une issue à l’impasse nucléaire. Effort inutile, Ahmadinejad campant toujours sur sa conviction d’avoir le droit d’utiliser la technologie nucléaire.

D’un point de vue diplomatique, que cela plaise ou pas, l’Iran reste donc debout refusant un quelconque compromis, même si les sanctions commencent à peser sur son économie. La communauté internationale, elle, se garde bien d’intervenir militairement en Asie centrale, où l’influence politique de Téhéran est énorme, et laisse aux dictatures ou aux monarchies locales, comme au Bahreïn (où l’opposition chiite est soutenue par Téhéran) la tâche de régler les dérapages. De plus, l’Iran est un régime islamique aux aspirations totalitaires, soupçonné de se doter de l’arme nucléaire. Cela donne la mesure des craintes qu’il inspire, contrairement à un Kadhafi certes sanguinaire, mais qui a renoncé à son programme nucléaire depuis longtemps, pressentant le risque d’un isolement diplomatique.

Le positionnement en Libye

Téhéran s’attèle aussi à un slalom stratégique dans l’actuelle situation libyenne. Si d’un côté le régime a pris ses distances, comme d’autres pays de la Ligue arabe, avec les frappes aériennes en cours, d’un autre côté il tire profit du conflit pour combler ses trous budgétaires, spéculant sur le prix du pétrole. Pour rappel, l’Iran est actuellement président de l’OPEP, l’organisation des pays producteurs de pétrole. Face aux mouvements populaires qui ont embrasé le monde arabe, le régime iranien compense les effets des sanctions internationales par la hausse des revenus pétroliers qu’il tire de ses trois millions de barils par jour.

De plus, si le pouvoir iranien salue officiellement les mouvements révolutionnaires de « libération » dans le monde arabe, il réprime ensuite, en coulisse, toute forme de contestation interne. On l’a bien vu lors de la crise politique en 2009.

La realpolitik effrontée de Téhéran met le régime, pour l’instant, à l’abri de tout danger, extérieur et intérieur. La milice civile et les gardiens de la révolution, soit les forces militaires, sont fidèles au régime et au principe théocratique sur lequel le régime est basé, contrairement à ce qui s’est passé en Egypte ou en Tunisie, où l’armée n’a pas protégé la dictature jusqu’à la fin. Cela constitue, en Iran, un atout pour le contrôle sur le peuple iranien et pour l’efficacité de la répression. Sur le plan international, la stratégie du jusquauboutisme et de la provocation ont, jusqu’ici, tenu le coup.

Alice Siniscalchi

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