Ce nouveau fac-similé de la grotte de Lascaux, en Dordogne, reproduit l'intégralité de la célèbre voûte, riche de 1 500 gravures et 680 peintures. © PIERRE LAPORTE COMMUNICATION/SDP

Lascaux 4, un chef-d’oeuvre d’art plastique

Le Vif

Lascaux 4, la dernière réplique de la plus célèbre caverne ornée d’Europe, vient d’ouvrir ses portes. Et, miracle des nouvelles technologies, la magie opère.

En moins de dix mois, 34 peintres-copistes se sont succédé pour réaliser à l'identique 500 mètres carrés de parois, révélant les chefs-d'oeuvre de l'art pariétal.
En moins de dix mois, 34 peintres-copistes se sont succédé pour réaliser à l’identique 500 mètres carrés de parois, révélant les chefs-d’oeuvre de l’art pariétal. © PIERRE LAPORTE COMMUNICATION/SDP

Napoléon peut aller se rhabiller. Ici, à Montignac,  » songez que, du haut de ce belvédère, cent quatre-vingt siècles vous contemplent « , pour détourner la célèbre formule prononcée par le général corse depuis les pyramides égyptiennes (lui n’évoquait que quarante siècles). Bon. Disons qu’à Montignac le panorama est moins… exotique : vue plongeante sur la vallée de la Vézère, ses villages aux tristes toits en tuiles modèle  » beauvoise rustique « , ses maisons en préfabriqué et… son parking. Oublions donc la vue pour, comme nos ancêtres de Cro-Magnon, utiliser nos autres sens. D’abord, l’odorat, afin de humer l’air humide inspirant jadis les artistes du paléolithique. Ensuite, l’ouïe, qui tire nos oreilles et nos pieds plus en contrebas, d’où s’échappent des voix d’enfants et les jappements d’un chien :  » Par cette bande sonore, nous avons voulu reproduire les conditions des « inventeurs », les quatre adolescents, lorsque, en septembre 1940, ils ont découvert le site de Lascaux « , détaille le muséographe Nicolas Saint-Cyr. Enfin, le toucher, lorsqu’on pénètre à l’intérieur de la cavité à pas de loup pour mieux jauger les aspérités de la paroi. Dès lors, la douce obscurité, la température ambiante qui baisse d’un cran, le silence de cathédrale invitent à la contemplation et à l’introspection… un frisson nous saisit.

L’exploitation commerciale de la « chapelle Sixtine de la préhistoire » a souvent fait jaser

L’émotion est là, pari réussi ! Parce que tout ici n’est que coque et toc… Nous sommes dans une réplique en plastique de la célèbre grotte située à quelques encablures de l’originale (Lascaux 1, fermée au public en 1963), censée remplacer le premier fac-similé (Lascaux 2, créé en 1983), tandis que se balade à travers le monde un modèle en kit (Lascaux 3, lancé en 2012) pour de juteuses expositions itinérantes. Coût de la location : de 50 000 à 70 000 euros par mois. L’exploitation commerciale de la  » chapelle Sixtine de la préhistoire  » a souvent fait jaser. Surtout les puristes, surtout ceux qui ont pu pénétrer dans la vraie grotte avant sa fermeture (plusieurs dizaines de milliers de personnes). Et ceux, aussi, qui ont longtemps espéré la voir rouvrir comme, en 2015, la grotte d’Altamira, près de Santander, en Espagne, autre grand site d’art pariétal du paléolithique supérieur.  » Aujourd’hui, pour des raisons évidentes de sauvegarde, Lascaux et Chauvet (voir l’encadré page 87) ne seront plus jamais accessibles au commun des mortels, assure Germinal Peiro, président du conseil départemental de la Dordogne. Le public doit-il être définitivement privé de ces chefs-d’oeuvre ? Evidemment non. Ce qui rend incontournable la création de répliques.  » Sauf que ce type de fac-similés a longtemps été critiqué pour son rendu peu satisfaisant. Celui d’Ekain, en Espagne, avec son lot de reproductions de 70 figures pariétales, datant du milieu des années 2000, pèche par son manque de réalisme – une succession de panneaux de taille modeste dans un hangar noir. La première copie de Lascaux, qui accueillait 250 000 personnes par an, était, elle, incomplète : n’y était reproduite qu’une partie de la grotte originelle (la salle des Taureaux et le Diverticule axial).  » L’Etat nous a demandé de sanctuariser le lieu, explique Yves Joudou, directeur des infrastructures et du patrimoine du conseil départemental. D’où l’idée d’un complexe totalement nouveau, construit 800 mètres plus bas.  » Coût : 57 millions d’euros.

Dans une salle attenante à la réplique, quelques-unes des plus belles peintures sont reproduites à hauteur d'homme. Une façon de rendre accessibles les détails.
Dans une salle attenante à la réplique, quelques-unes des plus belles peintures sont reproduites à hauteur d’homme. Une façon de rendre accessibles les détails. © PIERRE LAPORTE COMMUNICATION/SDP

Les concepteurs de Lascaux 4 ont, avant tout, cherché à profiter des avancées technologiques en matière de restitution. Premier objectif : construire, enfin, une réplique de la totalité de la grotte avec, en plus, l’Abside, le Puits et la Nef, afin de donner à voir au visiteur l’entièreté de ce site qui a tant séduit l’homme de Cro-Magnon. Pour se faire, les ingénieurs ont conçu une modélisation en 3D totalisant un relevé de 250 millions de points qui permet de reproduire le volume avec une précision inégalée. A partir de là, ils se sont lancés dans la création de la paroi, un immense puzzle composé de 54 blocs, où figurent les peintures préhistoriques.  » Chacun a été sculpté à l’aide d’une fraiseuse numérique restituant le moindre centimètre de relief avant d’être moulé en l’enduisant d’élastomères et autres polymères « , détaille Francis Ringenbach, directeur artistique de l’Atelier des fac-similés du Périgord (AFSP), la PME chargée de cette étape cruciale du projet. A l’arrivée, on obtient une paroi blanche qui a servi de support à une trentaine de peintres et de graveurs.  » Pendant plusieurs mois, ils ont esquissé puis coloré avec de l’ocre rouge, jaune et brun (pigmenté par de l’oxyde de fer ou du manganèse), de la terre et de l’argile pour redessiner les fresques originelles « , précise Francis Ringenbach. Un travail minutieux, effectué à l’aide d’un rétroprojecteur calquant sur la paroi l’image capturée dans la grotte, dans sa position initiale. Une oeuvre de copiste  » au millimètre près « , employant les mêmes outils et techniques qu’au paléolithique. Enfin, un à un, les panneaux ont été transportés de l’atelier de Montignac jusqu’au site d’exposition, où ils ont été assemblés sur une structure métallique, enchevêtrement de câbles et de tuyaux, formant l’ossature de la grotte, riche, au total, de 680 fresques et de 1 500 gravures.

 » Soixante-seize ans après sa découverte, Lascaux demeure un mystère, s’enthousiasme Jean-Pierre Chadelle, archéologue et membre du collège d’experts du fac- similé. Finalement, on ignore tout de ces artistes chasseurs cueilleurs qui ne vivaient pas dans la grotte puisque aucune trace d’occupation n’y a été exhumée.  » S’agissait-il alors d’un sanctuaire où pouvaient se tenir des cérémonies magiques liées à la chasse ? Pourtant, le gibier de base, à savoir le renne, n’y est pas dessiné. A moins que, comme a pu le suggérer le mythologue Mircea Eliade, s’y soient déroulés des rites chamaniques ? Certains ethnologues ont vu dans ces images souterraines une carte du ciel ou une forme de représentation zodiacale.  » Nous savons le « où », le « quand », le « comment », mais ignorerons toujours le « pourquoi », conclut Jean-Pierre Chadelle. Ce qui donne à ce site unique au monde une dimension onirique.  » Pour dépasser le mythe et une fois sorti de la réplique, le visiteur parcourt le complexe de Lascaux 4, doté d’un centre d’interprétation baptisé  » l’atelier « . Une structure originale qui dépasse les traditionnelles salles explicatives sur  » Cro-Magnon, sa vie  » en se focalisant sur  » son oeuvre « , à savoir l’art pariétal dans toute sa subtilité. L’idée : décrocher du plafond de la grotte (en les dupliquant) les principaux chefs-d’oeuvre pour les mettre à hauteur d’homme et permettre au visiteur de les observer plus en détail. Quitte à l’aider en faisant, là encore, appel aux nouvelles technologies comme la réalité augmentée ou des effets de lumières. Ainsi, par exemple, derrière le célèbre dessin de la grande vache noire se cachent d’autres motifs (des chevaux) et des gravures difficilement visibles à l’oeil nu.  » Certaines projections ont été conçues comme de petites animations pour être mieux mises en valeur, explique André Barbé, directeur de l’AFSP. On comprend alors comment l’artiste du paléolithique travaillait, quels sont les effets recherchés et ce qu’il voulait faire.  » Des esquisses et des effets insoupçonnés qui donnent à Lascaux une dimension touchante de palimpseste minéral.

Le succès de Chauvet

Entre la perle de l’Ardèche et celle de la Dordogne, la France compte deux des plus belles grottes pariétales d’Europe. Elle possède désormais les deux plus belles répliques. Un an et demi après son ouverture, la caverne du Pont-d’Arc connaît un succès inespéré et devrait atteindre le million de visiteurs ce mois-ci. « En matière de technologies, je pense que nous restons plus innovants que Lascaux 4 », estime Richard Buffat, directeur du syndicat mixte chargé du projet ardéchois. Outre la 3D et la réalité virtuelle, les concepteurs ont joué sur les différences de température, l’humidité, la moiteur et la brillance des parois. « Nous avons voulu rappeler que la grotte est un milieu aqueux », ajoute Richard Buffat. Les spécialistes ont même fait appel à un nez (parfumeur) qui a élaboré une potion diffusée dans le système de ventilation de la caverne. Une restitution plus vraie que nature.

Par Bruno D. Cot.

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