Lara Abdallat en 2010, élue Miss Jordanie. © DR

Lara Abdallat, ex-Miss Jordanie et « hacktiviste » contre Daech

Le Vif

En 2010, Lara Abdallat est élue Miss Jordanie. Aujourd’hui, elle combat l’Etat islamique sur le Net. Son travail pour le groupe Ghost Security a permis d’empêcher un attentat en Tunisie.

Elle est couronnée Miss Jordanie en 2010. Cinq ans plus tard, elle change régulièrement de pays et brouille les pistes sur les réseaux sociaux pour échapper à l’Etat islamique (EI). Entre les deux, Lara Abdallat, 35 ans, s’est transformée en  » hacktiviste  » pour le contre-terrorisme. Son travail a conduit à la suppression de centaines de comptes liés à l’EI et a permis de déjouer certains projets d’attentats terroristes. Passée par les Anonymous, elle travaille aujourd’hui avec Ghost Security, un groupe qui lutte contre l’activité terroriste en ligne et la rapporte aux autorités compétentes.

Qu’est-ce qui vous a conduit au contre-terrorisme ?

J’étais malade de voir aux infos, chaque jour, qu’autant de personnes étaient tuées de manière cruelle. Soit j’agissais, soit je me taisais pour toujours et je n’en avais pas envie. Dès que je suis devenue compétente dans le hacking, je n’ai plus pu arrêter. Le plus difficile, c’est de sortir de cet univers. A chaque fois que je veux éteindre mon téléphone pour aller dormir, je jette un dernier coup d’oeil, je trouve quelque chose d’intéressant et je travaille encore.

Vous intégrez d’abord le groupe Anonymous…

Pour combattre l’EI.

En quoi consiste votre travail ?

J’ai longtemps chassé les terroristes sur les réseaux sociaux. Avec qui sont-ils amis ? Qui sont les membres qu’ils recrutent ? Quand je trouve une menace, je contacte le gouvernement et je leur transmets mes informations. Chaque personne qui constate quelque chose de suspicieux ou possède des informations doit les transmettre aux autorités. Chacun doit adopter ce réflexe pour combattre l’EI. Toute seule, quand je m’ennuyais, j’arrivais à fermer 1 000 comptes de terroristes par jour. Aujourd’hui, je recrute les chasseurs et je leur apprends comment repérer les terroristes.

Grâce à vous, plusieurs attaques ont déjà pu être déjouées.

Oui ! Une attaque à New York a pu être évitée, mais dans ce cas, j’ai seulement joué un petit rôle. Et une attaque à Sousse, en Tunisie, il y a presque deux ans. J’avais débusqué les terroristes en train de communiquer sur l’attentat qu’ils allaient commettre le jour d’après. J’ai découvert l’endroit, l’heure auxquels ils prévoyaient de le perpétrer et la nature du projet. J’avais des preuves, des captures d’écran de leurs conversations. Je les ai fournies aux autorités. Elles ont surveillé ces personnes et les ont arrêtées. Ces six membres de l’EI ont été mis en prison.

J’avais des preuves qu’une attaque visant l’aéroport de Bruxelles se préparait »

Vous avez aussi déniché des preuves qu’un attentat visant Bruxelles se préparait…

J’avais des preuves qu’une attaque se préparait, mais je ne suis pas arrivée à reconstituer le puzzle. C’était difficile… J’ai manqué de temps. Je savais que ça allait se passer, mais pas quand. C’était l’attaque de l’aéroport de Bruxelles National.

Une femme qui veut barrer la route aux terroristes, c’est une première ?

Je ne sais pas si je suis la première, mais j’en serais honorée. Vous savez, ils ont tenté de me recruter.

Avec quels arguments ?

Ils m’ont proposé d’être leur visage dans les médias, une sorte de porte-parole. Ils m’ont dit :  » Abou Bakr al-Baghdadi (NDLR : le leader de l’EI) est intéressé par toi. Comme tu es ouverte d’esprit, on va d’abord te laisser profiter. Ensuite, on va te laisser évoluer à ton rythme. Puis, tu porteras le hijab (voile). Tu vas t’habituer et quand tu auras intégré la mentalité de Daech, tu porteras la burqa.  » Ils m’ont proposé 10 000 dollars par mois.

Vous avez refusé. Etes-vous toujours sur la liste noire de l’EI ?

Oui ! Je suis toujours en danger, mais pas comme par le passé, parce que les personnes qui m’avaient mise sur la liste noire de l’EI sont mortes, tuées par des drones. Je demeure cependant sur cette liste noire.

Vous êtes aujourd’hui le seul membre musulman de Ghost Security. Pourquoi ?

Je pense que c’est une coïncidence. Aujourd’hui, il y a de nombreuses femmes musulmanes qui combattent dans des mouvements similaires à Ghost Security.

Votre père est jordanien et votre mère est turco-syrienne. Que pensent vos parents de votre action ?

C’est une attaque au coeur pour eux… Aucun parent ne voudrait que sa fille soit en train de combattre un groupe extrémiste comme l’EI. Chaque matin, ma mère ne me disait pas  » Bonjour « , mais  » Arrête de faire ça ! « . Elle me le disait tous les jours, parce qu’elle avait peur pour ma vie.

« Hacktiviste » pour le contre-terrorisme, son travail a permis la suppression de centaines de comptes liés à l’Etat islamique.© NICOLAS DEWAELHEYNS

Comment avaient-ils réagi lorsque vous vous étiez inscrite à l’élection de Miss Jordanie ?

Mon père pensait que je plaisantais. Je ne planifie pas les choses ; elles arrivent. Je ne rêvais pas de devenir Miss Jordanie, de combattre les extrémistes ou de me battre pour les droits des animaux. C’est arrivé !

Comment vivez-vous à Amman, la ville où vous résidez le plus régulièrement ?

Je me sens en sécurité. Je peux me promener dans la rue à 3 heures du matin. Et si quelqu’un me cherche des problèmes, j’appelle la police et cette personne ira en prison. La ville est très sécurisée.

Et ailleurs dans le monde, vous sentez-vous en sécurité ?

L’EI ne sait pas où je suis. Donc, quand je suis ailleurs dans le monde, je me sens en sécurité, à condition que je m’organise. Je ne peux pas aller où je veux si ce n’est pas organisé. Là, ce serait dangereux. Par exemple, quand je suis à Paris et que je veux aller quelque part, j’ai un chauffeur, je ne peux pas me promener librement dans la rue. Si je veux aller dans une boîte de nuit, mon hôtel l’informe pour que la sécurité soit renforcée.

Selon vous, comment les pays européens peuvent-ils lutter efficacement contre le terrorisme ?

Pourquoi les pays européens laissent-ils les extrémistes en liberté ? Salah Abdeslam commet l’attaque du Bataclan, à Paris. Ses meilleurs amis sont les frères El Bakraoui, qui réaliseront les attentats de Bruxelles. Pourquoi ont-ils été laissés sans surveillance ? Si j’avais été chef de la police, je les aurais mis sous surveillance. Sur les réseaux sociaux, j’ai trouvé des messages entre eux qui remontent à 2011.

Vous écrivez en ce moment un livre. Qu’y racontez-vous ?

Mon expérience et mon périple avec Anonymous et contre l’EI. Je vais raconter beaucoup de choses et donner plein de détails. Je vais publier des captures d’écrans, des conversations… Vous allez pouvoir vivre ce que j’ai vécu et mis en place.

Entretien : Nicolas Dewaelheyns.

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