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La vie des djihadistes belges sur le front syrien

Montasser AlDe'emeh
Montasser AlDe'emeh   Montasser AlDe'emeh étudie la radicalisation islamique, le jihad international et les combattants belges en Syrie. (Université Radboud de Nimègue)  

Spécialiste du djihad, le reporter Montasser AlDe’emeh s’est rendu sur le front syrien en compagnie des combattants belges et néerlandais afin de tenter de démêler leurs motivations. En exclusivité pour LeVif.be, il livre dans son journal ses entretiens avec ces jeunes radicalisés et leurs leaders. De leur rêve d’un grand califat aux réalités du quotidien, le journal permet de découvrir les dessous de l’un des conflits les plus tragiques de notre époque.

Le vent souffle dans les volets brisés. Je suis assis sur mon lit avec mes notes. Lors de mon arrivée en Syrie, on m’a désigné une chambre où j’ai pu me réfugier et me reposer. Sur la table à côté de mon lit, on a mis un panier de fruits, du fromage fondu La vache qui rit, un pot de confiture de fraises, des dattes et des chips Pringle. En Syrie, les fruits sont délicieusement sucrés. Dehors, le drapeau du front al-Nosra, lié à Al-Qaeda claque au vent. En regardant la bannière qui flotte, je décide de me lever et de fermer la fenêtre. Je regarde un instant par la fenêtre. L’esprit d’ Oussama Ben Laden hante-t-il la Syrie sous la forme du Front al-Nosra ? Au moment où je veux fermer ma fenêtre, deux missiles tombent à quelques kilomètres de l’endroit où je me trouve. Pour la première fois de ma vie, j’ai le sentiment d’être menacé.

Je réside depuis quelques jours dans une maison habitée par quelques combattants belges. Ces jeunes musulmans combattent avec l’état islamique et le Front al-Nosra. Les combattants de l’état islamique ne combattent pas uniquement les troupes de Maliki en Irak et l’armée gouvernementale d’Assad. Ils affrontent également les autres rebelles. Ils ont proclamé le califat et estiment que tous les rebelles doivent jurer le serment de fidélité à Abou Bakr al-Baghdadi , le nouveau calife. Ceux qui ne le font pas, sont considérés comme un obstacle et doivent être combattus.

Le Front al-Nosra collabore avec les autres groupes de rebelles. L’organisation veut commencer par destituer Assad. Les jeunes belges que j’ai rencontrés combattent au Front al-Nosra. Cette milice se compose principalement de Syriens baptisés Ansar (aides). Les combattants étrangers sont appelés Muhadjir (immigrants). La collaboration entre les Syriens et les Belges se passe bien. Le fait que les jeunes belges parlent assez bien l’arabe levantin (le syrien) prouve que l’interaction avec la population locale se passe correctement. « Nous réalisons qu’il est nécessaire de gagner les coeurs des Syriens à nos côtés. L’impénétrabilité provoque effectivement l’ignorance, la peur et l’incompréhension ».

Ce matin, je me suis promené sur le marché très animé d’une petite ville syrienne et la scène m’a fait penser à un décor de film. J’étais impressionné par les bâtiments détruits et les vitres brisées. Les murs portaient les traces d’impacts de missiles. Au mois d’avril de cette année, un missile est tombé sur la ville, faisant des dizaines de morts. Un homme me raconte l’histoire de son fils. « J’ai perdu mon fils de 15 ans à cet endroit. Le président syrien Assad se défoule sur nous. Sur les citoyens, les innocents, les femmes et les enfants. Que Dieu donne la victoire aux rebelles ». Il apprécie également les combattants belges. « Eux au moins, ils viennent nous aider. Même Israël est plus miséricordieux qu’Assad ».

Un combattant m’avait accompagné acheter des vivres. La très grande majorité des combattants belges sont d’origine marocaine. La cuisine marocaine est bonne et, ici en Syrie, la plupart d’entre eux mangent mal. « Ce sont surtout les repas de ma mère qui me manquent » me confie un combattant belge.

En cours de route, nous passons devant une base militaire conquise. « Nous risquons toujours d’être touchés par un avion de combat. Quand nous allons dormir, nous réalisons que c’est peut-être la dernière fois. Pourtant, la mort ne nous fait pas peur. Tomber en martyr n’est pas réservé à tout le monde. Peut-être que nous ne rentrerons pas chez nous. En fait, nous sommes les combattants les plus nobles, car contrairement aux autres soldats, nous défions la mort ».

Montasser AlDe’emeh

A propos de l’auteur

Montasser AlDe’emeh est chercheur à la KuLeuven et à l’Université d’Anvers. Il étudie la radicalisation islamique et le jihad international. Dans ce cadre, il suit un petit groupe de djihadistes belges partis combattre en Syrie. Dans ces billets, Montasser ne fait que rapporter les déclarations de certains djihadistes ainsi que les opinions de Syriens sur place. Il n’est donc pas ici question de soutenir un quelconque mouvement radical, mais bien d’obtenir des éléments d’information afin de comprendre les motivations de ces jeunes Belges. Cette série de billets quotidiens sera complétée par un article d’analyses de Montasser AlDe’emeh en fin de semaine.

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