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La vie de nabab de Fidel Castro

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Sous la figure du révolutionnaire et du tiers-mondiste, un dictateur qui goûte au luxe de son île privée, de son yacht, d’une armée de gardes et de serviteurs. Les confessions de l’un d’eux – recueillies par un journaliste de L’Express et dont nous publions des extraits – font tomber le masque du Lider maximo. Elles sont un terrible réquisitoire contre son régime.

Tant et tant de visages se sont cachés sous cette barbe mythique, du guérillero inspiré à l’orateur infatigable, du leader des non-alignés au stipendié des Soviétiques, de l’ami des intellectuels européens au geôlier des poètes, du coupeur de canne à sucre au militaire insensible… Autant de visages pour autant de mensonges : Fidel Castro est-il autre chose que l’amoncellement de masques dont il a su faire un mythe ? Mais celui qui tombe aujourd’hui, grâce à Juan Reinaldo Sanchez et Axel Gyldén, permet d’approcher la vérité nue, celle d’un homme au creux de son intimité, celle d’un dictateur au fond de ses ténèbres.

Axel Gyldén, grand reporter au service Monde de L’Express, a confessé Juan Reinaldo Sanchez, témoin hors norme, un muet du sérail que l’on vit sur des centaines de photos au côté du despote, rouage anonyme et essentiel. Pendant dix-sept années, en effet, Sanchez est le garde du corps du Lider maximo ; avant de tomber dans la disgrâce et de connaître les cachots du castrisme, il est même le plus proche de ses protecteurs, son ombre, rien de moins. Il voit ainsi, de ses propres yeux, Fidel l’infidèle avec ses maîtresses et ses bâtards, Castro le nabab avec ses dizaines de propriétés, son île privée, son yacht et ses parties de pêche sous-marine. Il accompagne le quotidien du révolutionnaire paranoïaque, qui fait enregistrer tout et tous, dont les vêtements sont passés au détecteur de radiations quand ils quittent la blanchisserie et qui ne boit que du lait sorti du même pis de la même vache (n° 5, comme pour Chanel), gardée dans une étable privée. Sanchez prépare et suit les déplacements à l’étranger du chef de l’Etat, où se mélangent la mégalomanie, la méfiance et un vrai génie politique. Car le castrisme irradie loin de son foco national, et le cerbère voit ainsi, un jour, des guerilleros du M19 colombien apporter à Fidel l’épée de Simon Bolivar, volée par leurs soins dans un musée de Bogota, et qu’il conserve douze ans dans son bureau. Le garde est tellement au coeur du pouvoir qu’il croise même… la doublure de Castro : non un sosie, mais un homme discret, Silvino Alvarez, qui a le même front et la même arête nasale qu' »El Jefe » (le Chef), et qu’on promène donc en voiture dans les rues de La Havane, affublé d’une barbe, quand des rumeurs courent sur l’état de santé du Comandante. Rumeurs fondées : Fidel Castro manque de mourir, en 1983 et surtout en 1992 – il est sauvé notamment parce que deux de ses gardes le suivent partout, ayant le même groupe sanguin que lui, le rarissime A négatif. Juan Reinaldo Sanchez voit tout cela, comme il est témoin des beuveries de Raul Castro, le petit frère aujourd’hui au pouvoir et jadis imbibé de vodka, persuadé, après l’exécution du populaire général Ochoa, en 1989, qu’il va lui aussi y passer.

Parce qu’il ne faut jamais l’oublier : Fidel Castro est d’abord un dictateur de la pire espèce, de ceux qui meurent dans leur lit, non sous les balles d’un peuple en colère ; un dictateur capable de tout sacrifier à son pouvoir, même ses proches, même ses convictions. Ainsi, le dollar honni est un jour décrété bienvenu ; de même, les candidats à l’exil, longtemps abattus en pleine mer par les garde-côtes, sont soudain encouragés au départ – comme de nombreux condamnés de droit commun – afin d’infester de balsas, ces radeaux de fortune, les eaux de la Floride, et de purger la population insulaire de ses éléments « défaitistes » : bons et mauvais Cubains, Castro invente l’auto-épuration ethnique !

Economie parallèle Il y a en cet homme de la folie, mais surtout de la raison, froide et calculatrice, où le pragmatisme domine l’idéologie. C’est pourquoi Cuba n’est pas devenu la Corée du Nord, Castro trouvant des solutions, toujours cyniques et parfois efficaces, aux vicissitudes géopolitiques – échec des révolutions en Amérique latine ou effondrement du bloc soviétique – comme il en trouva à l’embargo américain. C’est ainsi qu’il met en place une économie parallèle, forte de sociétés d’Etat, de monopoles commerciaux et du contrôle des contrebandes, pour remplir les caisses de la Reserva del Comandante, qui lui permet non seulement d’assurer son train de vie, mais aussi de financer les premiers cercles de son régime, essentiels à son emprise sur le pays. Sans foi ni loi, Castro se fait aussi narcotrafiquant, pour empoisonner l’Amérique et enrichir son système. Aucun principe, aucune morale ne l’arrête quand ses intérêts personnels sont en jeu : puisque aider les mouvements terroristes basque et palestinien lui crée des affidés, il n’hésite pas, et de même il met en place un réseau de prisons politiques qui ne doit rien au goulag des Soviétiques… Sanchez révèle enfin qu’un diplomate français, arrêté pour trafic d’oeuvres d’art et de bijoux, fut transformé en espion au service de Cuba – il est toujours en service au ministère français des Affaires étrangères, affirme l’ouvrage…

Si Le Vif/L’Express consacre aujourd’hui ce dossier à ces révélations, ce n’est pas seulement parce que La Vie cachée de Fidel Castro est un témoignage de première importance, qui bouleverse la lecture de l’Histoire et, par ailleurs, captive le lecteur comme un roman d’aventures. C’est aussi parce que le castrisme leurre encore et toujours d’ultimes crédules, brandi comme une référence par des nostalgiques du marxisme sauce Caraïbes ou des révolutionnaires d’opérette.

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