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La Turquie vote dimanche pour des législatives-test pour le parti d’Erdogan

Le gouvernement islamo-conservateur au pouvoir depuis treize ans se présente en favori mais affaibli aux élections législatives de dimanche en Turquie, dont le président Recep Tayyip Erdogan veut profiter pour perpétuer son règne contesté sur le pays.

Auteur d’un grand chelem électoral inédit depuis 2002, le Parti de la justice et du développement (AKP) est assuré d’arriver en tête au soir du 7 juin. Mais son étoile a sérieusement pâli, victime du ralentissement de l’économie et des critiques, tant en Turquie qu’à l’étranger, qui visent sa dérive autoritaire.

Les sondages sont à prendre avec précaution mais la plupart situent l’AKP entre 40 et 42% des intentions de vote, en recul par rapport aux 50% récoltés aux législatives de 2011, au point pour les plus pessimistes de menacer sa majorité absolue. Premier ministre à poigne pendant onze ans, M. Erdogan a été élu chef de l’Etat en août dernier et a rendu sur le papier les clés de l’exécutif et du parti à son successeur, l’ancien ministre des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Mais, bien décidé à garder la barre du pays, il milite depuis pour la « présidentialisation » du régime et a fait du scrutin du 7 juin un référendum pour ou contre ses ambitions.

Contre l’esprit de la Constitution qui lui attribue un rôle « au-dessus des partis », le chef de l’Etat a pris la tête de son camp et fait ouvertement campagne, à raison de plusieurs discours par jour, pour un changement de Constitution. Le régime actuel est « un obstacle au changement » et fait de la Turquie « une voiture qui tousse car son réservoir est vide », a-t-il répété à longueur de discours, « il faut donner 400 députés au parti qui défend le système présidentiel ». Car pour réussir son opération, M. Erdogan a besoin d’un raz-de-marée électoral.

Si l’AKP rafle les deux tiers (367) des 550 sièges de députés, il pourra voter seul la réforme qui renforce les pouvoirs du chef de l’Etat. S’il n’en obtient que 330, il pourra la soumettre à référendum. Sinon, son ambition s’écroulera. Dans cette course aux voix, le score du principal mouvement kurde, le Parti démocratique du peuple (HDP), constitue l’enjeu essentiel d’un scrutin qui impose à un parti de réunir plus de 10% des voix au niveau national pour entrer au Parlement.

Les Kurdes faiseurs de roi

« Si le HDP franchit ce niveau, il sera impossible au parti au pouvoir de récupérer 330 sièges et de changer la Constitution. S’il ne le passe pas, ses voix seront redistribuées et l’AKP finira avec une large majorité », résume Soli Özel, professeur de sciences politiques de l’université Kadir Has d’Istanbul, « le HDP est un acteur incontournable ».

Jusque-là grosse pourvoyeuse de voix de l’AKP, la minorité kurde, qui réunit 20% de la population du pays, pourrait cette fois lui préférer le HDP, anticipent les analystes. Bien décidée à le faire trébucher, l’opposition a concentré ses attaques contre le « sultan » Erdogan et ses projets de réforme, qu’elle qualifie de « dictature constitutionnelle ».

Comme le HDP, les deux autres grands partis d’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l’action nationaliste (MHP, droite) ont aussi mis l’accent sur le récent ralentissement de l’économie du pays. La page du « miracle » turc semble aujourd’hui tournée.

Le chômage est à son plus haut depuis cinq ans, l’inflation élevée, la devise fragilisée par rapport au dollar et à l’euro et la croissance atone à moins de 3%, loin des années « chinoises » à plus de 8%. « Pendant dix ans, la Turquie a connu une croissance élevée (…) qui a été bien partagée », note l’économiste Seyfettin Gürsel, de l’université Bahçesehir d’Istanbul. « Nous sommes aujourd’hui entrés dans un cycle de croissance faible qui ne permet plus de réduire les inégalités », ajoute-t-il, « il est clair que l’AKP va perdre des électeurs ».

En difficulté sur ce qui était autrefois un atout, M. Erdogan a puisé dans le registre de la fierté nationale et de la religion. Quand ses rivaux ont promis de relever le salaire minimum, il a vanté les réalisations de son camp sur le thème « ils parlent, nous faisons » et exalté la grandeur passée de l’Empire ottoman, Coran à la main. Mais cette personnalisation du scrutin et la rhétorique partisane du président, de plus en plus virulente contre ses adversaires et les médias, n’ont pas rassuré ses troupes.

Au sein-même de son camp, certains ont déploré son « arrogance ». « Le 8 juin, la Turquie pourrait bien se réveiller avec un gouvernement de coalition », a résumé un éditorialiste bien en cour, Abdulkadir Selvi, dans le quotidien Yeni Safak.

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