Thierry Fiorilli

« La toute-puissance des formations politiques traditionnelles a vécu »

Thierry Fiorilli Journaliste

Le 7 mai prochain, le visage qui se dessinera progressivement sur les écrans des chaînes télé françaises, à 20 heures, sera celui de Marine Le Pen, d’Emmanuel Macron, de François Fillon ou de Jean-Luc Mélenchon. Selon tous les sondages d’intentions de vote, depuis des semaines, seuls ces quatre candidats-là peuvent prétendre à l’Elysée.

On saura, ce 23 avril, à la même heure, qui d’entre eux prendront part au duel final de cette présidentielle 2017 au dénouement dans tous les cas exceptionnel.

Parce que le vainqueur, qui que ce soit, incarnera une formidable rupture avec ce qui constituait invariablement l’ADN de la République depuis la Seconde Guerre mondiale. Le Pen ou Macron, Fillon ou Mélenchon président, ce sera l’avènement d’un chef de file soit extrémiste, soit sans parti politique traditionnel, soit inculpé par la justice. De l’inédit. De l’inattendu, il y a quelques mois à peine encore. De l’inconnu, même si, le passé, plus ou moins récent, a développé des scénarios plus ou moins similaires un peu plus loin de nous : Silvio Berlusconi en Italie, Viktor Orban en Hongrie, Alexis Tsipras en Grèce, Donald Trump aux Etats-Unis…

L’inévitable émergence de l’un de ces désormais Big Four hexagonaux, alors que sont passés à la trappe des formats comme Nicolas Sarkozy, François Hollande, Alain Juppé ou Manuel Valls – deux anciens présidents et deux anciens Premiers ministres -, prouve que le fil menant jusqu’ici classiquement à la plus haute fonction, en France, s’est cassé. Et qu’il existe, partout, d’autres voies et d’autres profils pour accéder au pouvoir suprême. Elle démontre, une nouvelle fois, le rejet, sur le mode vomitif, du  » système  » actuel (de gouvernance, d’appareils de partis, de mondialisation heureuse sélective, d’adhésion à l’Europe…).

Après la présidentielle, un autre rendez-vous, au moins aussi important, attend les Français : les législatives, courant juin. Elles décideront de la majorité parlementaire sur laquelle pourra s’appuyer, ou non, le tout frais nouveau président. Marine Le Pen dispose jusqu’ici d’effectifs trop peu étoffés pour gouverner, Jean-Luc Mélenchon forme pratiquement son parti à lui tout seul, Emmanuel Macron n’en dispose pas de véritable et François Fillon doit compter avec les déchirures profondes au sein du sien.

C’est l’autre grande nouveauté révélée par cette campagne française, et déjà incarnée il y a six mois par la victoire de Donald Trump en Amérique, sans le soutien de son propre camp : la toute-puissance des formations politiques traditionnelles a vécu. On peut prendre les rênes d’un pays, même géant, en faisant cavalier seul, sans jamais avoir été élu, en piochant des alliés ici et là, en cassant tous les codes éthiques, en remettant en cause ou bafouant toutes les valeurs démocratiques. Le système électoral belge ne favorise pas ces révolutions de gouvernance mais les séismes sortis des urnes, à répétition, partout dans le monde, les  » affaires  » éclaboussant chez nous les grands partis classiques, et cette même fracture évidente entre citoyens et autorités devraient avoir une répercussion, nette, sur la survie même de ces partis, au moins sous leur forme actuelle.

Des partis dont les revers, les actuels comme les très potentiellement futurs, marquent l’échec cuisant d’un certain modèle de société, mêlant libéralisme et social-démocratie. L’échec et la désintégration. Cet échec et cette désintégration, qui faisaient écrire à Samuel Beckett, dans Cap au pire, et les identifiant dans l’humanité même :  » Essayer encore. Rater encore. Rater mieux. […] Essayer encore. Rater encore. Rater mieux encore.  » C’est ce à quoi doivent s’atteler les formations qui nous dirigent pour l’instant encore. Tomber. Imploser peut-être. Puis recommencer. Autrement. Mais avec le même objectif qu’aux origines. Un monde meilleur. Quitte à le rater encore. Avant de le réessayer à nouveau.

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