Robert "Bobby" Shafran and David Kellman © Belga

La sombre histoire de triplés séparés à la naissance

Le Vif

Si un scénariste avait osé cette trame, on lui aurait sûrement dit qu’il allait trop loin. Mais l’histoire de triplés américains, séparés à la naissance et réunis par un pur hasard, avant de découvrir qu’ils avaient été au coeur d’une sinistre étude, est bien réelle.

L’incroyable histoire de Bobby Shafran, Eddy Galland et David Kellman, qui ignoraient jusqu’à leurs 19 ans qu’ils avaient des frères, est racontée par Tim Wardle dans son documentaire « Three Identical Strangers », présenté au festival américain de Sundance vendredi.

Les prémices des retrouvailles surviennent en 1980, quand Bobby Shafran, faisant sa rentrée à l’université de Sullivan County à deux heures au nord de New York, s’entend dire qu’un véritable sosie, Eddy Galland, vient justement de quitter le même établissement.

Même anniversaire, mêmes voix, mêmes centres d’intérêt mais aussi des mains identiques, les deux hommes sont stupéfaits par leur ressemblance quand ils se retrouvent finalement.

Portées en Une de la presse locale, ces retrouvailles précipitent un nouveau coup de théâtre lorsque David Kellman découvre les images de ces jumeaux qui lui ressemblent beaucoup, ont la même date de naissance et ont comme lui été adoptés.

La réunion des trois frères fait sensation: les jeunes hommes deviennent des célébrités à Manhattan et font même une apparition dans un film avec Madonna, « Recherche Susan désespérément ».

« Notre première rencontre était complètement surréaliste. Tout ce qui arrivait était tellement irréel qu’on avait presque l’impression de rêver », raconte à l’AFP Bobby Shafran, aujourd’hui âgé de 56 ans.

L’ambiance est survoltée quand ils ouvrent ensemble un restaurant – « Triplets » – tourné vers la gastronomie d’Europe de l’Est. Mais peu à peu, les disputes sur la gestion de l’établissement viennent assombrir leurs relations. Bobby Shafran démissionne.

– ‘Monstrueux’ –

Surtout, leurs retrouvailles sont accompagnées d’une nouvelle découverte bouleversante: leur séparation à la naissance n’était pas fortuite mais faisait partie d’une expérience polémique sur l’inné et l’acquis, entamée dans les années 1960 par un psychanalyste, Peter Neubauer.

Derrière les visites de mystérieux inspecteurs pendant leur enfance, censées servir à « une étude sur le développement de l’enfant », se cachaient donc des travaux sur l’évolution des triplés dans des environnements familiaux très divers.

« A l’époque, on ne se rendait vraiment pas compte à quel point le comportement de ces gens était monstrueux », confie David Kellman, racontant la colère des six parents adoptifs qui n’étaient pas non plus au courant.

Le réalisateur Tim Wardle confie lui à l’AFP que c’est « l’une des histoires les plus extraordinaires » qu’il ait jamais entendues.

Mêlant reconstitutions et interviews, le documentaire suit aussi la descente aux enfers d’Eddy Galland, plongé dans une dépression de plus en plus noire avant de mettre fin à ses jours à 33 ans.

Les frères « ont été très chaleureux dès le départ mais il y avait aussi un degrés de méfiance que je comprends totalement », poursuit le réalisateur.

D’alliances en fusions, le centre d’études de Peter Neubauer a finalement été incorporé au « Jewish Board », une organisation spécialisée dans la santé mentale offrant des soins aux New-Yorkais. Après le film, auquel elle n’a pas participé, l’organisation a accepté de transmettre aux deux frères survivants 100.000 pages de notes d’évaluation pendant leur enfance, abondamment caviardées.

Mais ces documents n’incluaient aucune explication sur les travaux de M. Neubauer ni sur les conclusions de ses chercheurs.

Après avoir pendant cinq ans tenté de maintenir seul le restaurant à flot, David Kellman s’est finalement reconverti dans le secteur des assurances tandis que son frère Bobby Shafran est devenu avocat.

Personne ne leur a jamais présenté d’excuses.

« Le Jewish Board n’approuve pas l’étude Neubauer », a déclaré une porte-parole à l’AFP, précisant que l’organisation s' »engageait à fournir aux participants de l’étude Neubauer accès à leurs dossiers en temps voulu et dans la transparence ».

Pas assez pour apaiser la douleur des frères survivants.

« Ils parlent de nous comme des participants », s’insurge David Kellman. « Nous n’étions pas des participants, nous étions des victimes. »

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